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L'ère du digital met-elle en péril notre mémoire ?


Observatoire B2V des MémoiresAvec le boom des nouvelles technologies, il est aujourd'hui devenu plus facile d'accéder à tout type d'information. Respect de la vie privée, accès à l'information, sauvegarde des données, droit à l'oubli, surveillance, sousveillance... sont autant de préoccupations d'actualité en lien avec le numérique.

Mémoire Digitale - Tel était le thème d'un échange entre le Professeur Jean-Gabriel Ganascia, informaticien philosophe - spécialiste en intelligence artificielle et membre du Conseil Scientifique de l'Observatoire B2V des Mémoires et Denis Peschanski, Historien, Directeur de Recherche au CNRS, Directeur Scientifique de l'Equipement d'Excellence MATRICE (Memory Analysis Tools for Research through International Cooperation and Experimentations), Président des Conseils Scientifiques du Mémorial de Caen et du mémorial du Camp de Rivesaltes, membre du Conseil Scientifique de l'Observatoire B2V des Mémoires.

Les différents sujets abordés lors de cet échange ciblé sur la mémoire digitale sont les suivants :

  • la définition de la mémoire numérique
  • le passage de la surveillance à la sousveillance
  • les conséquences du droit à l'oubli

Dialogue entre Jean-Gabriel Ganascia et Denis Peschanski (Extraits)

Qu'est-ce que la mémoire numérique ?

Jean-Gabriel GanasciaJGG : Il y a des dispositifs de stockage de l'information qui sont capables d'emmagasiner des quantités incroyables d'information sous toutes les formes (visuelles, auditives et textuelles). On est capable d'enregistrer en permanence les images que voit un individu. Le projet Google Glass qui est développé par le moteur de recherche Google permet à chacun d'enregistrer son champ visuel et son champ auditif pendant toute sa vie.

Quels sont les obstacles à cette mémoire numérique ?

JGG : Le paradoxe de cette mémoire numérique est qu'à la fois elle est considérable, c'est une hyper mémoire parce que on peut tout stocker. Mais d'un autre côté c'est une mémoire extrêmement fragile.

Denis PeschanskiDP : Les questions de la fragilité de ces données et de la migration de ces données se posent parce que les supports ne sont pas éternels. Cette fragilité elle se situe également au fait que l'on peut manipuler ces informations digitales assez facilement.

JGG : L'une des questions qui va se poser dans le futur et d'essayer d'assurer la pérennité de ces mémoires, pérennité physique et pérennité logique.

La surveillance des individus est-elle de plus en plus importante ?

JGG : On paie avec sa carte bleue, lorsque l'on va dans le métro on utilise son Pass Navigo, lorsque l'on va chez le médecin on utilise sa carte de santé ; donc si l'on devait croiser toutes ces informations, nous serions suivis à la trace.

N'importe qui peut prendre en continu des images sur le monde environnant et non seulement les stocker mais également de les divulguer.

Pourquoi le phénomène de sousveillance a-t-il fait son apparition ?

JGG : Un technologue américain a introduit un néologisme, pour exprimer cette tension. Il oppose la surveillance qui est cette captation de l'information à partir du haut à la sousveillance qui est cette capacité qu'a chaque individu de prendre de l'information et de la diffuser.

DP : La sousveillance est la volonté de vouloir faire naitre de la société même la volonté de contrôle de l'Etat. De partir de la société grâce aux moyens technologiques qui le permettent aujourd'hui, de faire naitre là un instrument de contrôle, l'Etat étant forcement le pôle négatif et l'individu le pôle positif.

JGG : C'est un phénomène assez nouveau, qui est lié aux technologies de l'information. Cela a des conséquences tout à fait considérables parce qu'aujourd'hui, les hommes politiques, les pouvoirs institués aujourd'hui sont extrêmement vulnérables puisque n'importe qui peut prendre de l'information.

Qui sont les protagonistes de la sousveillance ?

JGG : Julian Assange avec Wikileaks, n'est pas un militant de la transparence. Il a commencé sa carrière en concevant des systèmes de cryptographie qui étaient destinés aux citoyens pour lutter contre la surveillance. Il s'est ensuite dit, que si l'on veut aider le citoyen, non seulement il faut lutter contre la surveillance, c'est à dire le protéger des forts mais aussi lui donner les armes. On va donc surveiller les surveillants et essayer de promouvoir cette captation de l'information mais également aider les citoyens à la diffuser et à la mettre à disposition de tout le monde.

Snowden, employé d'une société qui travaillait pour la CIA, a été capable de diffuser sur internet des informations qui étaient extrêmement confidentielles. Il a ainsi mis l'Etat le plus puissant du monde dans une situation d'extrême difficulté.

Quelles interrogations soulèvent le droit à l'oubli ?

DP : On voit dans l'actualité surgir en même temps des revendications de l'individu pour plus de sécurité, pour l'absence de tout traçage par l'Etat et en même temps la volonté de contrôler l'Etat. Donc on a un mélange de recherche de droit à l'oubli et de recherche de contrôle sur l'état.

Nous sommes confrontés à une contradiction qui a des conséquences majeures sur la société et sur la mémoire de cette société. Si l'on revendique la transparence totale sur les actions de l'Etat, on met évidemment les Etats en difficulté et tous les protocoles, tous les processus qui exigent un minimum de secret sont annihilés. Mais inversement, si on exige le droit à l'oubli absolu pour protéger l'individu, cela veut dire qu'on fait disparaître des éléments essentiels de la mémoire individuelle et de la mémoire collective.

On doit s'interroger sur des mécanismes de contrôle de cette circulation de l'information. Mais le problème est le suivant : comment faire pour réguler ce système et en même temps respecter le droit à la mémoire, pas simplement le droit à l'oubli, le droit à la mémoire de l'individu et la mémoire sociale.

Donc c'est méconnaitre totalement la démarche intellectuelle, la démarche scientifique que de s'imaginer qu'il suffit de dire aujourd'hui que l'on va trier en supprimant au maximum les données à caractère personnel sauf pour un intérêt historique. Mais qui va fixer l'intérêt historique ? L'Etat ? L'individu ? L'historien ? Personne ; on est incapable de le faire. Je ne peux pas vous le dire.


Deux experts, deux points de vue, mais un même constat, aujourd'hui, l'accès à l'information est devenu très facile pour les individus, ce qui suscite des interrogations considérables dans la société en terme de protection des données. Ces interrogations sont au cœur des échanges, des solutions sont en cours de validation mais rien n'a encore été décidé.

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A propos de l'Observatoire B2V des Mémoires

L'Observatoire B2V des Mémoires est un outil innovant, présidé par le Professeur Eustache et encadré par un collège d'experts pluridisciplinaires de renommée mondiale. Il vise à explorer toutes les mémoires : mémoire individuelle, mémoire collective, mémoire d'entreprise, mémoire numérique, … L'Observatoire B2V des Mémoires poursuit trois objectifs majeurs : la recherche et l'innovation, l'information et la diffusion de la connaissance et la prévention.

A propos de B2V

B2V est un groupe paritaire de protection sociale multi-professionnel au service des entreprises de l'assurance, de l'enseignement privé et de nombreux autres secteurs d'activité. B2V exerce dans trois pôles d'activité principaux : la retraite, la prévoyance et la santé. B2V gère la protection sociale de 30 000 entreprises et 960 000 actifs et retraités. B2V est un organisme privé à but non lucratif, qui ne fait aucun bénéfice et ne rétribue aucun actionnaire.

Publié le 3 mars 2014 par Emmanuel Forsans
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