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Les aides fiscales en faveur de la création de jeux vidéo

Par Fabien DREY, Avocat


Fabien DREY - AvocatDepuis des décennies, la France est un acteur majeur de la création de jeux vidéo. Malheureusement, notre pays n'a pas su assouplir sa fiscalité pour accompagner la transformation de ce qui n'était (pour certains) qu'un passe-temps pour informaticiens à une véritable industrie.

Cela n'a toutefois pas empêché de nombreuses sociétés mondialement reconnues de voir le jour en France, comme Ubisoft, Infogrames ou Kalisto.

Dès les années 80, la production française de jeux vidéo a ainsi connu un large succès, les années 90 représentant même l'âge d'or du jeux vidéo français.

C'est dans ce contexte qu'Havas a notamment réalisé l'acquisition des américains Blizzard et Sierra (respectivement producteur et éditeur de jeux parmi les plus importants de l'histoire, tel que Diablo ou half-life) avant de devenir Vivendi Universal Games.

Au début des années 2000,l'explosion de la " bulle internet " a entraîné dans sa chute de nombreux studios de développement. En 2 ans, le secteur a ainsi supprimé plus de la moitié de ses effectifs (soit plus de 7.000 emplois).

Depuis le début des années 2010, la filière est divisée entre les " gros " producteurs et les studios de taille modeste.

En dépit de cette conjoncture difficile, les " poids lourds " du secteur conservent des résultats relativement satisfaisants, la France restant l'un des acteurs principaux du jeu vidéo mondial en termes de volume.

Aujourd'hui encore, l'industrie française compte de nombreux membres influents comme une partie d'Ubisoft (grâce à l'acharnement de certains de ses cadres et au soutien particulier de l'Etat), Gameloft ou Quantic Dream.

D'innombrables éditeurs " indé " voient aussi le jour chaque mois, afin de tenter leur chance sur ce marché difficile, mais qui réserve parfois de bonnes surprises.

Toutefois, ces succès épars ne peuvent masquer les délocalisations massives et l'exode des créatifs français vers d'autres pays, et en particulier le Canada.

Le gouvernement français a souvent été à la pointe du développement technologique et a su reconnaître l'importance de ce secteur, notamment en adaptant sa fiscalité. Toutefois, ces efforts restent encore loin de ce qui est réalisé par d'autres pays. Ainsi, le Canada et plus particulièrement le Québec a su devenir en quelques années le 3ème acteur mondial du secteur grâce à une politique fiscale adaptée.

En quelques années, le Canada a ainsi réussi à faire passer de 500 à plus de 15 000 le nombre de personnes directement employés par l'industrie du jeu vidéo.

Depuis plus de 30 ans, la fiscalité a tenu compte du secteur particulier des jeux vidéo, notamment car ce secteur hybride, à la confluence entre l'art, la culture et la programmation informatique, recouvre de nombreuses problématiques.

Mais ce n'est qu'à partir de 2007 que le gouvernement a réellement pris conscience de l'importance de ce secteur en créant le premier " crédit d'impôt jeu vidéo ".

I - Le crédit d'impôt jeux vidéo à la Française

Le crédit d'impôt jeux-vidéo a initialement été institué par une loi du 5 mars 2007 pour être modifié dans la foulée par la loi de finances rectificative pour 2007 (n°2007-1824 du 25 décembre 2007).

A) Evolutions du crédit d'impôt " jeux vidéo "depuis 2007

Le crédit d'impôt jeux vidéo est égal à 20% du montant total des dépenses éligibles engagées par l'entreprise, tout en étant plafonné à 3 millions d'euros par entreprise et par exercice.

Le législateur a prévu un mécanisme d'agrément préalable délivré par le Centre national de la cinématographie et de l'image animée (CNC) afin de " contrôler " l'octroi de ce crédit d'impôt.

Un double contrôle est réalisé au niveau de l'entreprise (A) et du jeu produit (B).

1) les conditions liées à l'entreprise

Ainsi, le crédit d'impôt pouvait être accordé dans les conditions suivantes :

  • l'entreprise doit être soumise à l'impôt sur le sociétés ;
  • l'entreprise doit d'une part assurer la réalisation artistique et technique du jeu vidéo et doit, d'autre part, initier et engager les dépenses nécessaires à la création de jeux vidéo (à noter que plusieurs entreprises agissant conjointement peuvent bénéficier de cette qualité) ;
  • l'entreprise doit respecter la législation sociale en vigueur.

2) les conditions liées au jeu vidéo produit

Seuls pouvaient ouvrir droit au crédit d'impôt :

  • les jeux vidéo ne comportant pas de séquences à caractère pornographique ou de très grande violence, susceptibles de nuire gravement à l'épanouissement physique, mental ou moral des utilisateurs ;
  • le jeu vidéo devait avoir un coût de développement supérieur ou égal à 150 000 EUR ;
  • le jeu vidéo devait être destiné à une commercialisation effective auprès du public à titre gratuit ou onéreux ;
  • le jeu vidéo doit être réalisé principalement avec le concours d'auteurs et de collaborateurs de création qui sont :
    -soit de nationalité française ;
    -soit ressortissants d'un autre État membre de la Communauté européenne, ou d'un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen ayant conclu avec la France une convention fiscale contenant une clause d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude ou l'évasion fiscale.
  • le jeu vidéo doit contribuer au développement de la création française et européenne en matière de jeu vidéo ainsi qu'à sa diversité en se distinguant notamment par sa qualité, l'originalité ou le caractère innovant du concept et le niveau des dépenses artistiques

Par ailleurs, le crédit d'impôt n'était calculé que sur certains types de dépenses réputés éligibles au crédit d'impôt, à savoir :

  • les dotations aux amortissements des immobilisations créées ou acquises à l'état neuf et affectées directement à la création du jeu vidéo ;
  • les rémunérations versées aux auteurs ayant participé à la création du jeu vidéo, en application d'un contrat de cession de droits d'exploitation ainsi que les charges sociales y afférentes ;
  • les dépenses de personnel relatives aux salariés de l'entreprise affectés directement à la création du jeu vidéo ainsi que les charges sociales y afférentes ;
  • les autres dépenses de fonctionnement, pour leur quote-part affectée à l'activité de création du jeu vidéo ;
  • les dépenses exposées pour la création d'un jeu vidéo confiée à d'autres entreprises ou organismes.

Le CNC délivre alors 2 agréments :

  • un agrément provisoire certifiant que le jeu en question devait satisfaire aux conditions ci-dessous ;
  • un agrément définitif après l'achèvement du jeu sous réserve que celui-ci respecte en effet les conditions précitées.

B) les aménagements apportés en 2013 et applicables depuis avril 2015

Devant le manque d'efficacité de ce crédit d'impôt, le législateur a décidé d'en élargir les conditions d'accès.

Le crédit d'impôt jeux vidéo a donc fait l'objet de plusieurs aménagements afin d'en faire bénéficier plus de d'entreprises.

Ainsi, depuis le 27 avril 2015, certaines conditions d'octroi du crédit d'impôt jeu vidéo ont été assouplies :

  • le seuil de coûts de développement du jeu exigé pour ouvrir droit au crédit d'impôt est abaissé de 150 000 EUR à 100 000 EUR ;
  • les dépenses salariales des personnels techniques et administratifs concourant à la création de jeux vidéo ouvrent désormais droit au crédit d'impôt ;
  • le bénéfice du crédit d'impôt est étendu aux jeux vidéo destinés à un public d'adultes ;
  • le délai d'obtention de l'agrément définitif pour les jeux vidéo dont le coût de développement est supérieur à 10 M EUR et porté de trente-six à soixante-douze mois.

Toutefois, pour bénéficier du crédit d'impôt, les jeux produits doivent toujours " contribuer de façon significative au développement et à la diversité de la création française et européenne en se distinguant notamment par la qualité, l'originalité ou le caractère innovant du concept et le niveau des dépenses artistiques " (CGI, art. 220 terdecies, III, 2).

L'imprécision volontaire de cette condition fait inévitablement peser une certaine insécurité quant à l'octroi du crédit d'impôt.

En outre, les jeux comportant des séquences à caractère pornographique ou de très grande violence restent expressément exclus du crédit d'impôt.

Dans ce contexte, environ la moitié des dossiers présentés obtiennent l'agrément du CNC, d'où l'extrême importance d'un dossier bien présenté, répondant de manière précise aux critères fixés.

Ce crédit d'impôt n'est donc pas " nouveau " mais il contient de nombreuses adaptations bienvenues, qui n'apparaissent pas encore suffisantes.

A cet égard, le crédit d'impôt jeux vidéo peut être couplé à d'autres méthodes de financement spécifiques afin d'encourager la création française.

Les développements suivants ne reviendront pas sur les régimes de faveur applicable en matière de création d'entreprises (ACCRE, NACRE, etc.) ni sur les exonérations d'impôts liées à la localisation de l'entreprise (ZRR, ZFU, etc.).

En outre, les sociétés ayant une activité de création de jeux vidéo peuvent bénéficier de certains régimes liés à l'aide à l'investissement, comme le PEA.

II - Les aides spécifiques en faveur du jeu vidéo

A) le Fonds d'aide aux jeux vidéo

Créé en 1989, le Fonds d'aide à l'édition multimédia (FAEM), cofinancé par le ministère en charge de l'industrie et le CNC, accompagnait à l'origine les sociétés françaises spécialisées dans la création d'un catalogue original de titres interactifs. Il a été orienté dès 2003 sur le soutien aux jeux vidéo, en particulier sur les projets innovants sur le plan de la conception graphique et du design.

Rebaptisé fonds d'aide aux jeux vidéo (FAJV) en 2008, il est alors exclusivement dédié aux jeux vidéo.

Cofinancé par le ministère de l'économie, de l'industrie et de l'emploi et le CNC, il est géré par ce dernier et doté de trois millions d'euros en moyenne chaque année.

Les projets déposés par les professionnels sont examinés par une commission constituée par le CNC et composée d'experts, qui statue sur l'attribution ou non des aides par son président. Les projets éligibles doivent répondre à plusieurs critères d'appréciation, notamment le fait de ne pas être financés majoritairement par des fonds publics.

Trois types d'aides différentes sont prévus :

  • L'aide à la création de propriétés intellectuelles. Il s'agit d'une une aide sélective qui permet d'accompagner la prise de risque des studios de développement dans la phase de production des jeux en apportant un soutien à la production de contenus culturels.
    L'aide est attribuée sous forme de subvention. Elle est plafonnée à 50% du coût du projet et ne peut dépasser 200 000 euros conformément au régime dit "de minimis".
  • L'aide à la pré-production. C'est une avance remboursable plafonnée à 35 % des dépenses de recherche et développement (R&D). Elle porte sur l'ensemble des dépenses de pré-production du jeu jusqu'à la réalisation d'un prototype non commercialisable. L'entreprise dispose de douze mois à compter de la signature de la convention qui lui accorde l'aide pour réaliser son prototype et de trente mois à compter de cette même date pour signer un contrat d'édition. Si elle ne parvient pas à contractualiser dans ce délai, elle peut demander une exonération de remboursement au directeur général du CNC, dans la limite de 85 % du montant de l'aide ;
  • L'aide aux opérations à caractère collectif. Elle est constituée d'une subvention plafonnée à 50 % du budget de l'opération.

B) Les dispositifs spécifiques du CNC

1) L'aide aux projets pour les nouveaux médias

Créée en 2007 et dotée d'un budget annuel d'environ trois millions d'euros, cette mesure propose des aides sélectives à l'écriture et au développement pour les contenus multisupports ou destinés spécifiquement à Internet et aux écrans mobiles, ainsi que des aides sélectives à la production pour les contenus ayant la même destination.

Tous les univers créatifs y sont représentés, le jeu vidéo y côtoyant le cinéma, la télévision, les arts numériques, la musique, ou encore la bande dessinée. Plus de trois cents projets ont été accompagnés depuis sa mise en place, dont une centaine en production.

2) Le réseau Recherche et développement en audiovisuel et multimédia (RIAM)

Créé en 2001, ce partenariat entre le CNC et OSÉO est doté d'un budget de quatre millions d'euros. Il a vocation à soutenir les projets d'innovation des entreprises dans les domaines de la production, du traitement, de la distribution et de la publication d'images et de sons, qui débouchent sur de nouveaux services ou produits. Ce dispositif a été spécifiquement conçu pour les secteurs du cinéma, de l'audiovisuel, du multimedia et du jeu vidéo.

Deux volets d'aide sont proposés :

  • l'aide à la faisabilité permet d'explorer les obstacles (technologiques, juridiques, économiques …) dont la levée est un préalable à la mise en place d'un projet de R&D de plus grande envergure ;
  • l'aide à la R&D finance le coeur du programme de R&D et aboutit soit à la commercialisation d'une nouvelle offre ou d'un nouveau produit, soit à une amélioration notable du processus de production interne.

C) les aides européennes

Le programme MEDIA, soutenu par l'Union Européenne, porte sur la période 2014-2020.

L'objectif de ce programme est de soutenir des oeuvres interactives, dont font bien évidemment partie les jeux vidéo.

Ainsi, plusieurs éléments de progrès ont été mis en avant :

  • le secteur des jeux vidéo est explicitement inclus dans le secteur audiovisuel ;
  • le nouvel instrument financier couvre tous les secteurs de la culture et de la création, y compris les jeux vidéo ;
  • le volet médias bénéficie d'un budget en hausse de près de 30 %, à 998 millions d'euros.

III - Les dispositifs en faveur de la rechercher et l'innovation

A) Le crédit d'impôt recherche (CIR)

Le crédit d'impôt recherche (CIR) est calculé en fonction des dépenses de R&D déclarées par les entreprises, le crédit d'impôt recherche s'élève à 30 % de ces dépenses dans une première tranche jusqu'à 100 millions d'euros, puis 5 % au-delà.

L'entreprise entrant pour la première fois dans le dispositif bénéficie, sous certaines conditions, d'un taux majoré de 40 % la première année, puis de 35 % la deuxième année.

Les entreprises du secteur des jeux vidéo peuvent potentiellement bénéficier du crédit d'impôt recherche si elles entreprennent des activités de R&D, notamment dans les phases de pré-production.

B) Le crédit d'impôt innovation

Créé par la loi de finances pour 2013, il est calculé sur les dépenses (de personnel, d'achat d'immobilisations, de prise de brevets ou dépôt de dessin) engagées par les PME en vue de la " conception de prototypes ou installations pilotes de nouveaux produits ".

Son taux est de 20% des dépenses engagées par les entreprises concernées, ces dépenses étant plafonnées à 400 000 euros ; il ne peut donc pas excéder 80 000 euros. Il est parfaitement susceptible de bénéficier aux studios de jeux vidéo, dont les dépenses d'innovation peuvent être substantielles.

C) Le dispositif " jeunes entreprises innovantes "

Les entreprises réalisant des projets de R&D et placées sous le régime de la " jeune entreprise innovante " (JEI) peuvent bénéficier d'une réduction de leur fiscalité et des charges sociales relatives à des emplois hautement qualifiés tels que les ingénieurs et les chercheurs.

Pour bénéficier de ce statut, l'entreprise doit avoir le statut de PME, avoir moins de huit ans d'existence et réaliser des dépenses de recherche représentant au moins 15 % des charges fiscalement déductibles au titre d'un exercice tout en étant indépendantes du point de vue de la détention du capital.

Un certain nombre d'avantages sont reconnus aux entreprises respectant ces conditions :

  • une exonération d'impôt sur les bénéfices et d'impôt forfaitaire annuel (IFA) ;
  • une exonération d'impôt sur les plus-values de cession de titres pour les associés de la JEI ;
  • un allègement des cotisations sociales patronales sur les salaires versés aux personnels participant à la recherche. Cet avantage a toutefois été drastiquement revu à la baisse en 2011.

Auteur : Fabien DREY, Avocat

Publié le 30 avril 2015 par Emmanuel Forsans
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