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L'affaire Moulinsart : à la recherche de la cession perdue

Comment sécuriser les cessions successives de droit d'auteur ?


" Parce qu'il manquait un clou, un fer fut perdu …
Parce qu'il manquait un fer, un cheval fut perdu …
Parce qu'il manquait un cheval, une bataille fut perdue …
Parce qu'il manquait une bataille, un Royaume fut perdu
".

Henri LebenNul doute que la société Moulinsart, ayant-droit des héritiers d'Hergé, doit aujourd'hui méditer amèrement ce proverbe. Voilà des années que Moulinsart engage systématiquement, et avec succès, des poursuites pour toute reproduction non autorisée de Tintin, du capitaine Haddock et consorts. Rien ne semblait devoir arrêter son essor jusqu'à ce qu'une association, poursuivie en contrefaçon devant la Cour d'appel de La Haye, fasse remarquer que rien ne prouve que Moulinsart soit effectivement détentrice des droits de reproduction de l'œuvre d'Hergé.

A la surprise générale, l'association a en effet produit un contrat datant de 1942, conclu entre les éditions Casterman et Hergé, au titre duquel celui-ci cédait à la maison d'édition l'intégralité de ses droits. Dès lors, sauf à démontrer que le contrat de 1942 avait été remplacé par un contrat plus récent, Moulinsart ne pouvait prétendre revendiquer la qualité de titulaire des droits afférents à l'œuvre d'Hergé. La Cour d'appel de La Haye a par conséquent débouté la société Moulinsart dans un arrêt du 26 mai 2015, de sa demande de condamnation, faute de démontrer sa qualité à agir.

Au-delà de l'appréciation de cette décision, encore non définitive puisque susceptible d'un recours en cassation, cette affaire souligne la nécessité absolue de s'assurer de l'existence d'une chaine de contrats complète entre le premier auteur de l'œuvre et son dernier exploitant.

Moulinsart gère l'exploitation des droits d'Hergé. Mais les droits d'Hergé lui ont-ils été correctement concédés ?

En pratique, lorsqu'un droit d'auteur est cédé successivement à plusieurs personnes, le dernier maillon de la chaîne négocie l'acquisition des droits exclusivement avec le cessionnaire précédent. Pour des raisons évidentes, les cessionnaires successifs ne peuvent, et n'ont d'ailleurs pas de légitimité à, être associés aux discussions.

En matière de jeux vidéo, l'éditeur acquière les droits d'exploitation auprès du studio, qui les a souvent acquis - au moins en partie - auprès de studios prestataires, qui les ont eux-mêmes acquis auprès des auteurs, designers, compositeurs, etc. Certes l'éditeur exige du studio qu'il lui garantisse contractuellement qu'il a acquis l'intégralité des droits nécessaires à l'exploitation du jeu. Cependant en pratique, si la cession de droit consentie par un game designer n'a pas été correctement faite au profit d'un prestataire, le prestataire ne peut pas céder valablement ses droits au studio, et la cession consentie par le studio à l'éditeur n'est pas valable.

Voilà comment un banal problème de rédaction de contrat conclu en bout de chaîne peut potentiellement remettre en cause l'intégralité des contrats conclus postérieurement à la cession initiale. Parce qu'il manquait un clou…

Comment éviter la rupture de la chaine ?

Plusieurs outils contractuels existent. En premier lieu, il est indispensable d'exiger de chaque échelon de la chaîne qu'il garantisse avoir bien acquis les droits auprès de l'auteur initial, et qu'il atteste avoir effectué tous les paiements et déclarations nécessaires à ladite acquisition.

Il est également possible de lister les contrats successifs en indiquant le nom des parties et les dates auxquelles ils ont été signés. Cette mention permet notamment de repérer immédiatement s'il y a eu une rupture dans la chaîne de cession des droits.

Certains éditeurs exigent également que les contrats successifs soient annexés au dernier contrat conclu avec le développeur. Mais cette demande se heurte souvent au respect du principe de confidentialité, et peu de développeurs souhaitent que le contenu des conventions conclues avec leurs auteurs soit divulgué.

Enfin, il est toujours possible de soumettre le jeu vidéo au régime des œuvre collectives, ce qui évite tout problème de rompu dans la chaîne de cession. Ceci étant, peu de jeux vidéo peuvent légitimement revendiquer la qualité d'œuvre collective et cette solution ne pourra donc que rarement être retenue.

En toute hypothèse, l'affaire Moulinsart démontre qu'un audit des droits est toujours nécessaire, même lorsque leur propriété semble établie de longue date et que personne ne paraît vouloir les remettre en cause. On n'est jamais à l'abri d'une mauvaise surprise…

Henri LEBEN
Avocat associé IP/IT
www.colbert-avocats.eu

Publié le 12 juin 2015 par Emmanuel Forsans
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