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Les nouveaux territoires du jeu vidéo

7. Dématérialisation de la distribution : le rôle des réseaux sociaux, du "cloud gaming" et de la TV connectée


Sommaire

5èmes Assises de la convergence des médias
Paris, Assemblée nationale, le 8 décembre 2011
Synthèse des interventions de l'après-midi par Nicolas BRIZE

  1. Un secteur crucial pour notre économie numérique
  2. Les nouveaux visages du jeu vidéo
  3. Pour un fonds de soutien au jeu vidéo
  4. Le rapport parlementaire sur le statut juridique du jeu vidéo
  5. Le statut juridique du jeu vidéo
  6. Les acteurs français dans la compétition internationale
  7. Dématérialisation de la distribution : le rôle des réseaux sociaux, du "cloud gaming" et de la TV connectée

"Pour certains, c'est un cauchemar, pour d'autres un eldorado." Pour Emmanuel Forsans, la dématérialisation est en tout cas "responsable d'un bouleversement profond de la chaîne de valeur du jeu vidéo. Elle a fait évoluer le rôle et les relations entre éditeurs, studios et distributeurs."

7.1 Code Lyoko, le saut de la convergence

Pour porter Code Lyoko39 en jeu vidéo, le producteur Moonscoop est entré en coproduction avec le studio de développement 3DDUO. "Ensemble, à travers cette franchise, nous allons faire un jeu sur Facebook", indique Christophe Di Sabatino. Pourquoi cette coproduction ? "Il y a une collaboration étroite entre ces métiers et d'énormes différences. En termes d'exploitation, ce sont de faux cousins."

7.1.1 du B to B au B to C

  • La production d'une série d'animation, c'est B to B.

Christophe Di Sabatino : "Le producteur de contenu audiovisuel s'adresse à un diffuseur, une chaîne de télévision qui elle s'adresse au consommateur. De même, lorsque nous faisons du jeu vidéo, nous travaillons avec un éditeur de jeu vidéo sous forme de licensing. Nintendo et d'autres vont sur le marché du retail."

"Par le passé, on a fait des deal avec Nintendo. Mais le jour où Nintendo nous a expliqué que notre jeu, au lieu de sortir le 1er septembre, sortirait le 30 novembre parce qu'ils faisaient passer en priorité leurs jeux dans les usines allemandes, on a compris qu'on n'avait pas su maîtriser le licensing."

  • Le jeu vidéo sur Facebook, c'est B to C.

"À travers Facebook, nous allons directement vers le consommateur", note Christophe Di Sabatino. "C'est ce qui est très nouveau aujourd'hui, là où il y a convergence. Le modèle économique est particulier : nous allons faire payer directement les joueurs."

"Demain, si ça marche, on aura des "fan base" sur Facebook qui sont très importantes, du "community management" à mettre en place. Je ne sais pas opérer ces choses-là."

"Pour la première fois, on ne l'a pas géré en termes de produit dérivé. On a décidé de travailler différemment nos propriétés sur les réseaux. On a fait le saut de la convergence. Avec 3DDUO, on a coproduit, c'est-à-dire qu'on a partagé les expertises."

7.1.2 Des temps de production plus courts

Les coûts de production sont moins chers que dans l'audiovisuel, car il y a "le background de la création", explique encore Christophe Di Sabatino. "Un univers a déjà été créé graphiquement, technologiquement, en 3D, en 2D. Code Lyoko compte 97 épisodes. Fort de ce matériel, et avec un partenaire tel que 3DDUO, qui connaît les réseaux sociaux, on a pu avancer très rapidement. Les temps de production sont de cinq à six mois, ce qui est peu."

Sam Dahmani, directeur marketing et commercial du studio 3DDUO, complète. "On a travaillé en bonne intelligence. Toute une partie de la production graphique était existante. Elles nous ont été très facilement transmises, dans un langage commun, dans un process de production validé des deux bords, des deux côtés de la production. C'est ce qui nous permet de réduire les coûts de production, et donc de sortir un produit de qualité en à peine six mois."

7.2 L'évolution comportementale

Sam Dahmani relate son expérience. "Quand on a créé 3DDUO, il y a quatre ans, on a proposé un jeu massivement multijoueurs en 3D temps réel directement dans le navigateur, afin que le joueur y reste immergé le plus longtemps possible par abonnement. Le jeu LEELH est sorti en 2010, et après six mois d'exploitation, on s'est vite rendu compte que l'innovation dans l'acte d'achat des joueurs avait fortement évolué vers le free to play."

"LEELH n'a pas fonctionné. Aujourd'hui le jeu est accessible gratuitement. On retravaille en parallèle sur de la monétisation in-game. Le problème, c'est qu'on ne peut plus rajouter une couche de monétisation quand le concept a déjà été créé. L'idéal, c'est de partir d'une feuille blanche. On a donc souhaité repartir sur d'autres licences."

"3DDUO s'est donc spécialisé dans le cross média et dans le total dématérialisé, c'est-à-dire qu'on ne fait pas de jeux sur console ou AAA, et qu'on se focalise sur l'Internet ou sur des supports mobiles. Depuis quatre ans, on essaie de s'adapter en nous centrant sur l'utilisateur final, en mettant le joueur et son expérience de jeu autour d'une stratégie ubiquitaire. On est aussi bien dans l'industrie du divertissement (casual gaming, social gaming) que dans le serious game."

"D'autres acteurs ont pris un virage. De très grands groupes qui faisaient du MMO ont multiplié par 5 leur chiffre d'affaires en passant à du "free to play and selling".

Aujourd'hui, très peu de jeux en ligne sont sous abonnement. On est dans le gratuit, avec de l'impulsion de l'acte d'achat dans le jeu. Le concept du jeu consiste à monétiser la frustration."

Raoul Benoît du Rey, directeur de PaySafeCard France, confirme. "Pour éviter la frustration, pour progresser dans le jeu et pour se démarquer de la masse des gamers, les joueurs vont payer par carte prépayée des petites armes ou des outils. C'est complètement virtuel, mais elles ont une vraie valeur, qui se monétise entre 50 centimes et 3 €."

7.3 Comment gérer la monétisation ?

"La dématérialisation permet une multiplication des supports : réseaux sociaux, télévision connectée, cloud gaming. Mais comment gérer la monétisation ?" s'interroge Emmanuel Forsans.

Raoul Benoît du Rey voit d'un très bon oeil "la convergence des supports entre télévision interconnectée, ordinateur et téléphone. Les usages des cartes prépayées évoluent. Dès aujourd'hui, elles peuvent être utilisées sur la télévision interconnectée."

PaysafeCard est présent dans 28 pays : 32 000 points de vente en France, 450 000 en Europe et en Amérique. Ce système de carte prépayée est "un moyen de paiement utilisable dans tous les sites qui ont référencé ce type de paiement alternatif". Vendu sous forme d'un ticket imprimé dans un point de vente physique, "c'est un des seuls moyens qui permet de faire profiter du dynamisme de l'économie internet, le commerce traditionnel de proximité."

  • La valeur d'un ticket s'échelonne entre 10 et 150 €. Le code PIN représente la valeur. Pour payer sur Internet, vous utilisez ce code.

"L'internaute comprend immédiatement l'intérêt de ce moyen de paiement qui lui apporte un grand confort (pratique, rapid, facile) et une grande sécurité. Les points de vente physiques de proximité sont géolocalisables par l'internaute à domicile sur internet ou en situation de mobilité ou à domicile depuis son smartphone."

Raoul Benoît du Rey met en avant la sécurisation du paiement. "Je ne vois pas mon fils me demander ma carte bancaire pour acheter des armes ou des outils virtuels à 0,50 € pièce tout au long du jeu pour améliorer son score. Il pourrait utiliser ma carte pour acheter autre chose, et je prendrai le risque de perdre mes données sensibles sur des sites qui ne sont pas forcément sécurisés."

Au chapitre de la prévention, la paysafecard junior est une carte pour les jeunes qui leur interdit l'accès à "des jeux d'argent comme le poker". Selon Raoul Benoît du Rey, "la carte prépayée va redonner de la valeur aux choses, en permettant à un jeune de gérer lui-même le budget de sa carte. D'un point de vue pédagogique, c'est important pour lui donner de l'autonomie tout en l'aider à prendre conscience de la valeur de l'argent."

Cette carte fonctionne sur ordinateurs (PC ou Apple), et sur tous les types d'écrans de smartphones et de téléphones mobiles. "Notre page de paiement s'adapte à tous les tailles d'écran des smartphone et des téléphones mobiles du marché, sans aucun développement à faire de la part de l'éditeur du site de jeu en ligne mobile."

  • "L'utilisation de ces cartes croît deux fois plus vite que le marché Internet et en France particulièrement où nous faisons mieux que la moyenne européenne qui est de + 40%"

"La moitié de notre activité est dédiée au marketing direct des sites Internet pour les faire connaître à travers notre moyen de paiement qui n'est pas passif mais pro-actif", précise Raoul Benoît du Rey. "Par exemple, en insérant dans un magazine, une promocard paysafecard en plastique avec un bonus de 5 € conçue aux couleurs du site de jeux en ligne , on fera connaître le site de jeu au client qui ira sur le site pour utiliser les 5 € offert. Ces promocard peuvent être distribué lors d'évènements de toute sorte. Les campagnes marketing peuvent se faire de manière entièrement virtuelle par emailing. Ces campagnes marketing donnent trois avantages à un site de jeu en ligne. Le site va faire de l'acquisition mécanique de nouveaux clients, parce qu'il va toucher une clientèle qui ne veut pas ou qui ne peut pas payer par carte bancaire ; le site va réveiller des internautes endormis qui ne jouent plus ; le site va fidéliser sa clientèle par l'envoi de cadeau sous forme de promocard."

7.4 Comment saisir les opportunités du marché ?

Emmanuel Forsans : "La dématérialisation a créé une opportunité. Il y a eu énormément de créations d'entreprises en 2011. Les plus petits produits ont considérablement abaissé la barrière à l'entrée."

7.4.1 Le coût d'acquisition d'un joueur

Le Syndicat national du jeu vidéo (SNJV) représente et accompagne les entreprises de la production et de la création du jeu vidéo en France, soit 200 entreprises de tailles très différentes et de métiers très divers. Pour Julien Villedieu, son directeur général, "le marché du jeu vidéo s'est profondément fragmenté, et surtout, il s'est massifié. Du profil "hardcore gamer" ado masculin solitaire, on a autant de jeux que de pratiques. La difficulté, c'est de saisir ces opportunités."

"Certes, la barrière à l'entrée est facilitante, la vitalité d'un secteur se mesure aussi à ses créations d'entreprises, mais attention à la "bulle du jeu vidéo". il faut se méfier des opportunités en des temps incertains. Le porte-monnaie des joueurs n'est pas extensible.

Le "free to play", ce n'est pas un jeu gratuit. Il y a une industrie derrière. Plus le temps passe, et moins les opportunités sont faciles à saisir.

Le coût d'acquisition d'un joueur sur les marchés dématérialisés que sont iPad, iPhone, Android, Facebook, Web, a tendance a augmenté. La rétention, c'est-à-dire le fait de retenir un joueur dans un jeu, est aussi un coût qui augmente.

Ce marché se fragmente, les prévisions sont difficiles en termes de développement et de succès d'un jeu. Ceux qui ont du succès reposent sur des bases installées, des communautés de joueurs très importantes."

Julien Villedieu donne les chiffres : "on observe une croissance à 2 chiffres, voire 3 sur le mobile :

  • iPhone et iPad : 3 Milliards à la fin 2011 ;
  • Sur Android : 10 Milliards de téléchargements sur 200 000 devices installés. "L'opportunité est si forte qu'on ne l'imagine même pas."

Conclusion : "Il faut avoir une audace, un caractère entrepreneurial très fort."

7.4.2 Intégrer une culture commerciale

"On ne fait plus du jeu vidéo comme avant. Les entreprises de jeu vidéo telles qu'elles naissent actuellement ne ressemblent absolument pas à ce qu'elles étaient il y a deux ans", poursuit Julien Villedieu.

"Les acteurs du jeu vidéo sur Facebook apportent des ressorts ludiques, sympas et fun. De nouveaux métiers, de nouvelles compétences apparaissent : le marketing, l'analyse de données.

On n'en avait pas besoin dans les studios qui faisaient du jeu sur console, parce qu'on travaillait avec des éditeurs dont c'était le métier d'assurer cette prestation pour le compte du créateur. Mais si l'on veut rester compétitif dans notre pays, il faut permettre à ces entreprises de promouvoir et d'entretenir ces jeux qui vont se commercialiser comme un service et non plus comme un produit. Le jeu vidéo est une alchimie entre la technologie et un environnement artistique. il faut y intégrer une culture commerciale."

Emmanuel Forsans résume : "hier, les studios discutaient avec les éditeurs, aujourd'hui ils discutent avec le client final. Le créateur est en prise directe avec son consommateur."

Chez 3DDUO, on a mis en place des "indicateurs de mesure : quand est-ce que le joueur part ? Où est-ce qu'il paie ? Qui paie, quelles sont les tranches ? Comment définir les bonnes stratégies de publicité ? Vis-à-vis de quelles cibles ? Ces questions font partie intégrante de nos réflexions quotidiennes", note Sam Dahmani.

Chez Paysafecard, on confirme. "On dialogue directement avec les clients. Les campagnes que l'on monte sur Facebook sont massives. Les clients peuvent nous appeler directement s'ils ont un problème", indique Raoul Benoît du Rey.

7.4.3 "Nous n'avons pas de Zynga français"

Pour Sam Dahmani, "le moyen de paiement est indispensable vis-à-vis de la cible visée. La culture du jeu vidéo est face à un public d'adulescents, plutôt 25-45 ans que 5-10 ans."

Mais 3DDUO exprime "sa difficulté, en tant que petit studio d'une vingtaine de personnes, à intégrer cette monétisation. Pour nos productions, cela nécessite une vraie attention en amont de la création du jeu. Nous devons faire en sorte que l'expérience de jeu soit non seulement la plus pertinente, la plus distrayante, mais qu'elle procure aussi un véritable retour sur investissement financier."

Ce qu'on déplore, c'est de ne pas avoir de Zynga français. Outre-Atlantique, Zynga est le leader absolu du jeu social. Malgré 4 ans d'existence, il génère un chiffre d'affaires de 250 millions € par trimestre. Il a été introduit en bourse le 16 décembre40. Il revendique détenir la plus grosse communauté de joueurs sur les réseaux sociaux, en particulier sur Facebook. En ce sens, je remercie le SNJV de porter nos voix auprès des députés, pour essayer de dynamiser cette innovation technologique qui est aussi une innovation d'usage.

Julien Villedieu quant à lui est "persuadé qu'on a de futurs Zynga parmi nos entreprises. Peut-être un peu différentes, moins grosses. Zynga a été le premier sur le jeu Facebook, avec Playfish et Playdom. Ce qui fait le succès de Zynga, c'est d'avoir été le premier, comme souvent sur ce type de marché émergent."

7.4.4 Des perspectives prometteuses

Pour Julien Villedieu, "la vitalité sur ces marchés est indéniable".

  • Quel que soit la plateforme ou le support, le jeu vidéo est la première utilisation de ces supports. "Les gens jouent d'abord au jeu vidéo sur Facebook avant de faire autre chose. D'après Facebook, le jeu vidéo n'en serait qu'à 5% de son potentiel sur la plateforme sociale. Zynga est loin d'avoir anéanti ses concurrents. Comme le disait Eric Schmidt (Google), la concurrence est stimulante."
  • Actuellement, le marché Facebook n'est pas présent en Asie. "Le jour où Facebook s'ouvrira en Chine, je pense qu'il y aura des opportunités à prendre."
  • Kobojo, un de nos acteurs du jeu Facebook, vient d'annoncer la sortie d'un nouveau titre41. "Je leur souhaite le même succès que PyramidVille."
  • On parle de la saturation des marchés iPhone et iPad, mais sur Android, le champ des possibles est très vaste. "Chaque jour, le nombre d'activations Android est colossal, on parle de 500 000. Et selon certaines prévisions, dans cinq ans il y aurait 1 application OS téléchargée contre 2 applications Android."

Il y a donc "des opportunités de développement sur ces nouveaux supports, sur les environnements de création et en dernier ressort sur les pratiques. Le joueur ou la joueuse est notre priorité. Maintenant il faut trouver ce qui va plaire aux joueurs."

7.4.5 Les projets de l'Institut Télécom

L'Institut Télécom regroupe toutes les écoles Télécoms en France, soit 6000 étudiants, 1000 chercheurs en thèse. En couvrant les champs de l'enseignement, de la recherche et de l'innovation, "on essaie de synchroniser la recherche avec les besoins de l'industrie", indique Pierre Pleven, chef de projet PME à l'Institut Télécom.

Dans le secteur du jeu vidéo, j'ai repéré que parmi nos partenaires, certains avaient disparu. C'est le cas de notre projet de cloud gaming, l'un de nos premiers projets.

Pour Pierre Pleven, le cloud gaming se caractérise par :

  • Une capacité de calculs virtuels
  • Des tuyaux de plus en plus larges
  • La voie de retour : "c'est ce qui manque encore au jeu vidéo aujourd'hui. Les problèmes de temps de latence, sur un écran vidéo de base, sans aucune console ou set-top box, avoir la meilleure expérience utilisateur avec la totalité de l'intelligence reportée sur un site central sur le cloud."

"Le projet est arrêté, car la société n'existe plus. Mais il est toujours en cours, et il reste le challenger encore plus HD de OnLive."

Parmi les autres projets de l'Institut Télécom, Pierre Pleven cite :

  • Un projet 3D avancée ;
  • Un projet Cross media en environnement TV connectée. HbbTV, le standard européen interopérable de TV connectée, doit permettre au programme TV de répondre à un jeu sur tablette ou smartphone. Le téléspectateur-acteur-joueur pourra rester dans un univers. On travaille avec des producteurs de télévision.
  • Des cours de bourse virtuels : en partenariat avec le pôle Finance & Innovation, on imagine des compensations entre les différentes monnaies virtuelles :
  • Des interactions beaucoup plus avancées entre l'écran et l'humain, "en particulier autour des captations de la posture et du visage, et une restitution plus émouvante en HD du joueur acteur."

7.5 Un changement de culture économique

7.5.1 Les "opérateurs" de jeu vidéo

Jacques Marceau reprend les termes qui ont été utilisés : "taux de rétention", "base installée"

"Le marché du jeu vidéo a-t-il changé à ce point que pour évoquer la monétisation de leurs activités, la valorisation de la création et également les échanges économiques avec leurs clients, ils utilisent le vocabulaire des opérateurs de Télécommunication électronique ?"

"Va-t-on vers une convergence des rôles ? L'éditeur et le distributeur vont-ils se confondre dans un opérateur de jeux vidéo, avec tout ce que cela suppose derrière : une base installée, des phénomènes de rétention, d'abonnement et de modèles économiques qui vont évoluer ?"

Julien Villedieu donne raison à Jacques Marceau. "Les nouvelles entreprises que l'on voit émerger depuis quatre ans sur ce marché ne ressemblent absolument plus à leurs prédécesseurs, dans leur façon de faire, dans leur façon d'être, dans leur langage, ni même dans leur appartenance. Le mot jeu vidéo est extrêmement étriqué par rapport à la réalité de ce secteur. Les Américains disent "entertainment", c'est formidable."

"Le secteur connaît depuis deux à trois ans une mutation extrêmement profonde qui a un impact sur les technologies, sur les entreprises et sur la façon dont on crée un jeu vidéo. Le jeu vidéo s'est rapproché de nouvelles générations de joueurs. Le langage a changé, et c'est pourquoi beaucoup d'entreprises traditionnelles n'ont pas réussi à évoluer vers cette nouvelle forme de culture."

OnLive annonce ses applications sur iPad et iPhone. Xbox Live Arcade arrive aussi sur iPad et iPhone. La dématérialisation, c'est une opportunité y compris pour des acteurs traditionnels. Ceux qui réussiront, ce sont ceux qui auront réussi à adapter leur culture d'entreprise. Pour Electronic Arts, Activision ou Ubisoft, cela prend plus de temps de changer ses modes de production que pour de plus petites sociétés telles que 3DDUO.

Sam Dahmani de 3DDUO connaît cette chaîne dite classique de production et de distribution du jeu vidéo retail, "mais on ne l'a pas vécu. Ce qui fait qu'on n'a pas eu à acquérir cette nouvelle culture, puisqu'elle a été directement la nôtre."

7.5.2 Le difficile accès aux investisseurs

Julien Villedieu rappelle que "pendant longtemps le jeu vidéo a été financé par la distribution. Les éditeurs apportaient jusqu'à plusieurs dizaines de millions d'euros pour créer des jeux, avec en contrepartie la cession des droits sur ces jeux. Avec la dématérialisation, le studio s'est émancipé à la fois de l'éditeur et parfois du distributeur. Pas tout le temps, parce que finalement, Apple et Facebook sont les distributeurs."

"Mais pour s'émanciper, il faut avoir aussi son autonomie financière. Aujourd'hui, il est extrêmement difficile de s'assumer financièrement dans le marché du jeu vidéo, parce que les investissements sont très importants, y compris sur les jeux Facebook. A la différence de la France, cette culture de l'investissement dans l'entertainment est extrêmement forte notamment dans les pays anglo-saxons, le résultat est l'émergence de véritables réussites."

"Si Wooga, premier acteur du jeu vidéo sur les réseaux sociaux en Europe, a la capacité de financer ses productions, c'est grâce à son succès. Mais aussi, lorsque vous lancez un jeu par exemple en Allemagne, des investisseurs vont se précipiter pour le financer en raison de la culture et de l'écosystème législatif."

"En cette période de disette budgétaire, c'est complexe d'avoir des systèmes incitatifs en matière d'investissement dans les sociétés, surtout dans les nôtres, qui évoluent dans des conditions très difficiles de prévision en matière de succès ou d'échec."

7.5.3 La notion de rupture d'usage

Stéphane Natkin revient sur la notion de rupture technologique. "Que ce soit pour monter un dossier Oséo42, ou dans la plupart des mécanismes de financement, on demande toujours une rupture technologique."

  • "Facebook et Zynga ne sont pas des ruptures technologiques. Il y a du développement technologique pour suivre le client de façon très détaillée, mais Facebook n'aurait probablement pas reçu d'aide d'Oséo pour financer son démarrage. Ne faudrait-il pas ajouter à l'idée de rupture technologique la notion de rupture d'usage ?"
  • "Tout cela ne se fabriquera pas dans des usines et ne réindustrialisera pas la France. Un deuxième handicap par rapport à la demande d'investissement."

Selon Emmanuel Forsans, "la rupture d'usage est prise en compte pour la R&D. Même si elle est peut-être plus difficile à démontrer."

Julien Villedieu se range à l'avis de Stéphane Natkin. "Parfois il y a de la rupture technologique, mais souvent on est sur de l'innovation d'usage : gameplay, interactivité,… des notions difficiles à appréhender en France, alors que dans la Silicon Valley ces notions sont complètement acquises depuis des années. C'est ce qui explique que le jeu vidéo nouvelle génération ait émergé de ce terreau d'innovation."

7.5.4 Les outils du financement

"Cependant des outils existent. ils sont relativement efficaces." Julien Villedieu indique :

  • Le statut fiscal de Jeune Entreprise Innovante (JEI).
  • Le crédit d'impôt recherche.

"Les entreprises de jeu vidéo arrivent à y entrer. Mais attention au temps passé à remplir des dossiers avec parfois une expertise qui est extrêmement limitée. La priorité, c'est d'abord de faire un jeu qui plait et qui se vend."

"On peut passer des années à faire de la R&D qui ne sera pas mise en oeuvre parce qu'elle était tout simplement trop éloignée du marché. On aura financé sur fonds publics des initiatives qui ne servent à rien. On aurait mieux fait de miser dans des dispositifs comme la Jeune entreprise innovante, où là, effectivement, l'impact est direct, à la fois sur la trésorerie des entreprises et donc sur leur compétitivité."

"N'oublions pas que la part de la production française représente moins de 5% du marché mondial. Ce qui est fondamental, c'est que la France se développe en un pays de production (500 millions €), et non de consommation de jeu vidéo (2,7 Milliards €)", conclut Julien Villedieu.

  • Les contre-garanties

Christophe Di Sabatino signale le système des contre-garanties au Canada, en Norvège ou en Suède. "Il permet de trouver des fonds propres, des investisseurs, sachant que tout ou partie de cet investissement trouve des contre-garanties à travers un établissement public ou semi-public. Ce type de système, très vertueux, permet justement d'inciter les investisseurs, et de limiter le risque. il s'avère que souvent les dossiers marchent, que les risques ont créé des emplois et de la valeur."

  • Les FCPI

Emmanuel Forsans indique qu'il existe des aides pour l'innovation. "Les fonds communs de placement de l'innovation (FCPI)43, permettent aux investisseurs de défiscaliser. En revanche, il n'y a pas d'équivalent Sofica44 pour le jeu vidéo."

7.5.5 L'accompagnement des créateurs

Au niveau de l'institut Télécom, "on essaie d'accompagner les créateurs", indique Pierre Pleven.

  • Parmi les cinq incubateurs, "on compte un certain nombre de sociétés qui font des jeux. Il y a encore des innovations de rupture. Des gens vont créer des entreprises. Exemple d'une société qui travaille sur des tables reliées à l'iPhone ou aux tablettes."
  • Les fonds d'investissement : "avec le fonds d'amorçage 3T (Télécom Technologies Transfer), là aussi on peut prendre le relais."
  • Vient ensuite tout le dispositif des projets collaboratifs. "Avec des sociétés de 30 à 40 personnes, on peut capitaliser et aller beaucoup plus loin tous ensemble."

D'après Pierre Pleven, "ce terreau, on ne le sent pas. il faudrait travailler beaucoup plus avec le Syndicat et l'Association pour ancrer dans l'innovation des futures nouveautés." Par exemple, "les jeux au format HbbTV constituent encore un terrain complètement vierge..."

7.5.6 Le parrainage selon Alain Renner

Depuis 35 ans qu'il travaille chez Sotheby's, Alain Renner, vice-président de Sotheby's France, a vu "la création française devenir de moins en moins puissante dans le monde de l'art contemporain.

Globalement, nous sommes très en retard par rapport à beaucoup d'autres pays. L'Etat n'a pas toujours rempli ses obligations."

Pourtant, "la photographie représente 4,16% du total du marché de l'art."

  • Christies a vendu récemment une photo d'Andréas Gursky (1999) pour 4,3 Millions €45.
  • Les ventes à thèmes sur la photographie se multiplient. Le marché français est devenu très fort dans ce domaine.

Dans ce monde de "l'hyper-partage", "l'image a 5 fonctions" :

  • La création, de loin la plus importante ;
  • L'information, en particulier dans les reportages, dans l'identité ;
  • Le divertissement (illustration, objets photos) ;
  • La mémoire (souvenir patrimonial et social) ;
  • La conversation via les mms et réseaux sociaux. Cette dernière fonction prend de plus en plus d'importance.

Et en France, nous avons une carte à jouer dans la photographie :

  • Un salon de la photo : il a eu un écrin de choix cette année, puisqu'il a eu lieu au Grand Palais. La hausse des entrées y est constante (70 000 en 2010, 80 000 en 2011) ;
  • La vitalité de la production française est très forte, le public est très cultivé ;
  • L'Etat encourage le mécénat et le parrainage, à travers des avantages fiscaux "de plus en plus utilisés".
  • On garantit des tirages originaux. C'est un label français d'authenticité, qui rassure les acheteurs et collectionneurs.

Par "amour de l'art", Alain Renner a décidé de "coacher" 5 créateurs français. David Sitbon est l'un d'entre eux. "Un jeune créateur comme David Sitbon est porteur d'un concept novateur et créatif qui fera intervenir différents médias : je vais contribuer à faire développer ce projet avec lui en recherchant galeries et mécénat." Pour Alain Renner, c'est sûr, son dernier projet est "fédérateur, international, à long terme, sur 9 ans."

L'histoire de ce jeune photographe plasticien est édifiante. Selon Jacques Marceau, elle montre combien "nos talents sont exportables, internationalement reconnus par des collectionneurs".

En juillet dernier, David Sitbon a décidé de traverser les Etats-Unis pour tester un nouveau procédé photographique. "Nous sommes partis de New York", explique David. "Le hasard a fait que dans la première photo que j'ai prise, dans le reflet d'une vitre, se trouvait l'homme qui, dix jours plus tard, allait me faire démarrer mon voyage à travers les Etats-Unis à partir d'un musée." C'est le projet "American reflection"46.

Son prochain projet, The Grace Fighter, "unique et fédérateur, déclinera à travers différents médias, l'art contemporain, le cinéma et le jeu vidéo, une seule et même histoire, celle du mythe fondateur de la civilisation de l'image." Il s'agira de "révéler les origines, la transformation et la destinée de cette toile gigantesque d'images qui se tisse partout autour de nous".

Sommaire

5èmes Assises de la convergence des médias
Paris, Assemblée nationale, le 8 décembre 2011
Synthèse des interventions de l'après-midi par Nicolas BRIZE

  1. Un secteur crucial pour notre économie numérique
  2. Les nouveaux visages du jeu vidéo
  3. Pour un fonds de soutien au jeu vidéo
  4. Le rapport parlementaire sur le statut juridique du jeu vidéo
  5. Le statut juridique du jeu vidéo
  6. Les acteurs français dans la compétition internationale
  7. Dématérialisation de la distribution : le rôle des réseaux sociaux, du "cloud gaming" et de la TV connectée

Notes et références

39. Code Lyoko est une série télévisée d'animation française réalisée par Jérôme Mouscadet et produite par Moonscoop (2003).

40. 10 dollars par action, ce qui le valorise à 8,9 Milliards de dollars au moment de son entrée en bourse.

41. Atlantis Fantasy, le nouveau jeu social de Kobojo sur Facebook.

42. OSEO, entreprise publique, exerce trois métiers : l'aide à l'innovation, la garantie des concours bancaires et des investisseurs en fonds propres, le financement en partenariat.

43. Financement en capital-risque des PME innovantes. " L'entreprise doit justifier de la création de produits, procédés, techniques ou services dont le caractère innovant et les perspectives de développement économique sont reconnus ". Source : Oséo, déc. 2011. http://bit.ly/tw9MzW

44. SOFICA : Société pour le financement du cinéma et de l'audiovisuel

45. " Rhein II 1999 ", photo d'Andréas Gursky. http://bit.ly/u9t8HW

46. " American reflection " : http://www.davidsitbon-art.com

Publié le 27 février 2012 par Emmanuel Forsans
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