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Design des jeux vidéo épisodiques 2.0 - 2ème partie

Par Pascal Luban - Game designer & creative director


Image (c) liuzishanDans la première partie de cette chronique sur le design des jeux épisodiques, j'ai résumé les raisons pour lesquelles la narration épisodique peut sensiblement enrichir l'expérience de jeu.

Aujourd'hui, hormis quelques exceptions comme Hitman ou Republique, les jeux épisodiques offrent un gameplay de type aventure, c'est à dire une expérience de jeu qui repose largement sur l'exploration des scènes de jeu et la résolution de mini-enigmes ou puzzles. Beaucoup utilisent des QTEs (quick time events) pour apporter une touche d'action à leurs titres mais ce type de mécanisme n'est pas apprécié par tous les joueurs et ne remplace pas un vrai gameplay de jeu d'action.

Or, la demande globale se centre plutôt sur des titres offrant de vrais gameplays d'action : Jeux de tir, d'action-aventure, de combat, de course, etc. Peut-on adapter les mécanismes efficaces de la narration épisodiques à ces jeux "mass market" ? J'en suis convaincu et pour le démontrer je vais prendre deux exemples de jeux d'action pur jus et montrer comment on peut y adapter la narration épisodique tout en offrant les gameplays d'action auxquels aspirent de nombreux joueurs

Pour mon premier exemple, je vais couvrir les jeux de tir traditionnels comme Call of Duty, Ghost Recon ou Gears of War. Comme la narration et le gameplay doivent être intimement liés, je vais décrire le pitch narratif et le gameplay d'un jeu entièrement imaginé par mes soins pour les besoins de cette démonstration.

Le pitch narratif

Dans un monde à la Riddick, à la faveur d'une émeute, quatre prisonniers qui ne se connaissent pas s'évadent d'un pénitencier-mouroir. Leur objectif ? quitter la planète-prison de l'Imperium. Leurs moyens ? Quelques armes récupérées lors de leur fuite. Leurs chances de réussir ? Nulle. La planète leur est largement hostile mais le principal danger ne vient-il pas de la composition de l'équipe ? Vous incarnez un opposant politique au régime de l'Impérium et vous allez devoir composer avec une équipe hétéroclite : Un meurtrier psychopathe, un petit escroc, une mystérieuse femme dont les motivations sont inconnues. Parviendrez-vous à fuir ? Et parmi vos équipiers de fortune, qui vous aidera, qui vous trahira ?

Mes choix narratifs dans ce pitch sont dictés par deux contraintes fortes : 1) Fournir un contexte qui me permettra de mettre en place les mécanismes propres à la narration épisodique et 2) enrichir le gameplay. Je couvrirai ce second point un peu plus loin. En attendant, voyons comment ce pitch peut supporter une narration épisodique efficace.

Pour commencer, le pitch fournit une arche narrative principale très forte : Fuir cet enfer. Il offre deux avantages : Il permet de supporter un grand nombre d'épisodes et surtout, il déclenche facilement de l'empathie pour les protagonistes car nous pouvons facilement nous mettre à leur place. Pensez à Lost ou Prison Break. Créer de l'empathie est important car sans elle, il n'y aura pas d'attachement des joueurs envers le personnage qu'il contrôle mais aussi ses équipiers de fortune. Or, cet attachement peut devenir une des raisons qui inciteront le joueur à acheter des épisodes supplémentaires. C'est ce mécanisme qui est à l'œuvre dans les meilleures séries : On s'y attache plus aux personnages qu'aux intrigues.

Ensuite le lieu. Je ne l'ai pas choisi au hasard. Une planète-prison est, par définition, un lieu en marge de la société, à l'instar des colonies pénitentiaires installées par les nations Européennes au 19ème siècle dans les lieux reculés et souvent hostiles. Ainsi, notre planète-prison peut abriter des garnisons isolées, des regroupements d'évadés qui constitueraient autant de cités "libres", des populations autochtones, des sectes qui rechercheraient l'isolement, des prédateurs, etc. Cette diversité peut donc supporter des environnements très différents mais, surtout des contextes qui pourront donner lieu à des objectifs de mission ou des rencontres intéressantes. Cette "profondeur" de l'univers supportera la production de nombreux épisodes tout en minimisant les risques de lassitude associés avec un univers trop familier.

Les rencontres avec de nouveaux personnages sont une des clés de la narration épisodique car elles contribuent au renouvellement de la série. En effet, on pourra ainsi envisager que des équipiers du joueur disparaissent temporairement ou de manière permanente ; Laisser croire qu'un personnage important va mourir dans le prochain épisode est un excellent moyen de créer un cliffhanger et de générer du buzz. De plus, de nouveaux personnages permettent d'introduire de nouvelles relations entre les membres du groupe.

Qui incarnerait-on dans ce jeu ? Plusieurs options sont possibles.

  • On pourrait incarner le personnage de son choix et donc changer de personnage à chaque épisode, voire rejouer le même épisode avec différent personnage. Cette option serait passionnante mais peu réaliste en raison des coûts de développement ; il faudrait multiplier les cinématiques et prévoir des scénarios à embranchement très complexes.
  • Chaque épisode pourrait imposer au joueur de contrôler un personnage différent. Cette solution permettrait de varier les gameplays si chaque personnage a ses propres attributs. En revanche, elle pourrait devenir frustrante pour un joueur que l'on forcerait à jouer un personnage qui ne lui plait pas.
  • Le jeu pourrait imposer un héros que le joueur contrôle du début jusqu'à la fin. Cette solution, classique, faciliterait l'empathie du joueur envers son personnage. C'est elle que je retiendrais pour cet exercice.

Les relations entre les personnages du groupe sont au cœur de la narration. En effet, les personnages sont définis par leur potentiel à créer des inimitiés avec leurs équipiers ou à susciter de la suspicion. Le joueur se demandera qui trahira le groupe : Le criminel sans foi ni loi, l'escroc habitué à retourner sa veste, la mystérieuse amazone ?

En résumé, ce contexte narratif nous offre les atouts suivants :

  • Un monde riche, exotique et mystérieux
  • Une quête principale crédible à laquelle nous serons tous sensible
  • Des équipiers qui ont des motivations propres et envers lesquels nous allons développer des émotions fortes d'attachement, de rejet ou de défiance
  • La possibilité d'introduire de nouveaux personnages ou d'en faire disparaître.

Nous avons tous les ingrédients propres à la narration épisodique. Ils vont nous permettre de créer, auprès des joueurs, un attachement très fort à la série qui devraient les conduire à acheter les nouveaux épisodes. De plus, il sera facile de terminer les épisodes avec des cliffhangers et de construire des arches narratives secondaires qui ne feront que renforcer l'attachement à la série.

Gnons, balles et disputes : Le gameplay

Venons-en maintenant au composant majeur d'un jeu, son gameplay. Avec ce contexte narratif, je propose un gameplay de tir (à la première ou troisième personne) associé avec une dimension tactique légère : Le level design est constitué de zones de combat qui comprennent des emplacements prédéfinis derrière lesquels les personnages peuvent s'abriter et tirer. Pour le joueur, la dimension tactique consiste donc à assigner tel ou tel équipier, ou un binôme, à un emplacement donné et à lui donner des ordres simples ("suis-moi", "couvre-moi", etc.). Chaque équipier est défini par quelques attributs de base comme la précision, la discrétion, la résistance, etc. Le joueur leur alloue les armes disponibles. Selon le contexte de chaque zone de combat, le joueur répartira les armes et positionnera ses équipiers ou ses binômes de manière différente et les fera bouger. En cours de combat, les équipiers ne seront pas invulnérables et pourront tomber à terre. Ils pourront alors être secouru par le joueur ou un autre équipier mais la mise à terre de tous les membres du groupe conduirait alors à un game over, obligeant ainsi le joueur à prendre soin de son équipe.

Ce gameplay est classique et efficace. On a donc un vrai jeu d'action parfaitement compatible avec une narration épisodique. Peut-on aller encore plus loin ? Peut-on utiliser des éléments narratifs pour enrichir le gameplay ? Je pense que oui.

Deux approches sont envisageables.

La première approche, reposerait sur les relations entre équipiers, y compris le joueur. Le jeu pourrait forcer le joueur à former des binômes mais leur efficacité et leurs comportements en cours de combat pourrait dépendre de leur degré de confiance les uns envers les autres mais aussi de leurs affinités, voire de leurs éthiques. Par exemple, un binôme constitué de l'escroc et de l'amazone, pourrait être pertinent en situation d'infiltration (l'escroc étant dans son élément et mis en confiance par la présence d'une combattante expérimentée) mais peu efficace sous le feu de l'ennemi (l'escroc chercherait alors à fuir, quitte à laisser tomber son équipière).

La seconde approche tirerait parti des personnalités des équipiers du joueur. Ainsi, leurs personnalités pourraient avoir un impact sur la tactique du joueur, autrement dit, la façon dont il répartira ses équipiers sur le terrain. Par exemple, le personnage de l'escroc, peu habitué aux armes, pourrait refuser d'être positionné en première ligne. Le tueur psychopathe, pourrait entrer dans une frénésie meurtrière et perdre tout sens de la prudence. L'amazone pourrait refuser les instructions du joueur si elle les juge absurde.

"Dans le prochain épisode, …"

Dans la prochaine partie de cette publication sur le design épisodique, je vais vous proposer un concept de jeu et son pitch narratif pour un jeu épisodique se déroulant dans des mondes ouverts comme GTA, Far Cry ou Assassin's Creed.

Ces jeux sont des best-sellers de notre industrie mais ce n'est pas la seule raison pour laquelle je vais en parler. Leur développement est tellement coûteux que peu d'éditeurs se lancent dans l'aventure. De plus, l'expérience de jeu qu'ils procurent est souvent répétitive d'un jeu à l'autre. Le design épisodique pourrait répondre à ces deux problèmes mais d'une manière qui va peut-être vous surprendre.

Lire la troisième partie

Notes et références

Image (c) liuzishan


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Publié le 20 novembre 2017 par Emmanuel Forsans
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