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Le design des jeux freemium pour les hardcore gamers

Par Pascal Luban (partie 1 / 5)


Il était une fois...

Pascal LubanIl y a un peu plus de cinq ans, j'ai été contacté par Rocking Pixels, un studio basé en Inde. Ils voulaient développer un jeu de tir entièrement gratuit. J'avais alors déjà travaillé sur des shooters destinés aux hardcore gamers: j'ai été lead level designer sur les versions multi de Splinter Cell - Pandora Tomorrow et Chaos Theory et j'ai conçu la map CTF-Tornado, la principale map du mod UT3-AGEIA Extreme PhysX. Mais, à l'époque, les jeux gratuits se concentraient sur les jeux sociaux destinés à un public de joueurs occasionnels, du moins c'était la perception en occident. Je me suis alors demandé comment un jeu pour les "vrais" gamers pouvait fonctionner avec un modèle économique associé à un public "amateur".

Mais le freemium, anciennement appelé free-to-play, était déjà très développé en Asie à l'époque. J'ai découvert que certains genres de jeu visant les hardcore gamers supportaient parfaitement le freemium. Mon client Indien ne put pas financer l'intégralité du développement et fit faillite (j'espère que ce n'était pas à cause de mon game design !) mais grâce à cette mission, j'ai appris beaucoup de choses sur la façon de fusionner "l'eau" et le "feu", en particulier, j'en retins trois leçons:

  • Le freemium n'est pas un genre de jeu mais un modèle économique qui peut s'appliquer à la plupart des game designs, y compris ceux pour des titres hardcore
  • La plupart des règles de design pour un jeu freemium ciblant un public "casual" ne sont pas adaptées à des jeux visant un public de gamers. C'est un vrai paradoxe. Un jeu freemium pour les gamers ne doit donc pas se contenter de singer les règles de design qui font le succès des jeux sociaux.
  • La vrai différence entre les designs pour un jeu "traditionnel" et un jeu en freemium est que ce dernier doit être conçu comme une application dynamique sans fin.

Quand l'industrie du jeu en occident commença à s'intéresser au freemium grâce aux succès de Zynga ou de Playfish, je savais que ce nouveau modèle économique finirait par influencer la façon dont nous écrivons nos game designs pour tous nos jeux, y compris ceux ciblant les hardcore gamers. J'en avais d'ailleurs parlé dans ma chronique sur les megatrends du game design publiée en 2008.

Beaucoup d'observateurs voyaient alors dans le freemium un simple effet de mode qui n'affecterait que les jeux pour Facebook. Certains développeurs méprisaient même ce mode de monétisation d'un jeu. Ils se trompaient. Le freemium se répand aujourd'hui dans tous les genres, sur toutes les plateformes et ne va disparaitre.

Aujourd'hui, il est courant pour un éditeur d'évaluer la possibilité d'adapter certaines de ses licences hardcore à ce nouveau modèle économique. EA a été un des pionniers avec Battlefield Heroes. Valve y a adapté Team Fortress 2. Ubisoft a développé une version freemium de Ghost Recon et Activision a même confié au géant Chinois Tencent le développement d'une version freemium de Call of Duty pour le marché asiatique.

Mon objectif est de partager ici quelques unes des leçons que j'ai retenu en travaillant sur le design de jeux freemium pour hardcore gamers et d'énoncer les bons réflexes à avoir.

Commençons par le commencement : le concept

Un concept de jeu conduit à des choix qui ont un impact profond sur le contenu et le succès d'un titre. C'est encore plus vrai en matière de freemium ou les joueurs sont particulièrement "volatiles". Lors de la définition du concept pour un jeu en freemium visant les hardcore gamers un game designer doit avoir à l'esprit deux points-clé:

Soyez premier ou soyez innovant

La terrible vérité concernant les jeux en freemium est qu'un tel jeu à de bien meilleures chances de réussite s'il est le premier dans son genre. Contrairement à ce qui se passe dans les jeux traditionnels, les copies de freemium ont généralement beaucoup de mal à prospérer.

C'est plutôt logique. Un jeu freemium est conçu pour retenir ses joueurs aussi longtemps que possible en leur offrant des arbres de progression, riches et longs, dans lesquels ils vont investir du temps et de l'argent. Or lorsqu'un joueur a atteint un niveau élevé dans un jeu qui récompense la progression, il n'a pas envie de repartir à zéro dans un autre jeu si ce dernier est similaire.

Si vous devez concevoir un freemium dans un genre ou la concurrence s'est déjà installée, l'alternative est d'être trés créatif, d'offrir une expérience de jeu sensiblement différente. La plupart des jeux de tir actuels sur PC ou consoles de salon souffrent d'un manque d'originalité. Je suis prêt à parier que certains des prochains jeux de tir en freemium vont apporter leur lot d'innovation car ce modèle économique incite les designers à "penser" différemment leur jeu. Brick-Force d'Exe Games est un bon exemple à suivre. Ce FPS offre un gameplay à la Minecraft en permettant au joueur de concevoir ses propres maps.

Pensez "service"

Les jeux traditionnels sont le plus souvent conçus comme des applications qui se suffisent à elles-mêmes. Afin d'en augmenter leur durée de vie commerciale, les éditeurs ont pris l'habitude de planifier la sortie d'extensions comme des packs de maps mais ils demeurent enracinés dans cette logique de jeu "stand alone". Modern Warfare 4 succède à Modern Warfare 3 qui lui-même succède ... Vous m'avez compris. Les versions freemium des licences hardcore doivent aller plus loin.

Pourquoi ? Les bons freemium sont conçus comme une offre de service, comme un MMO, et non comme un produit "stand alone". Ils sont conçus pour évoluer en permanence. World of Tanks évolue ainsi tous les deux à trois mois en offrant de nouvelles maps, de nouveaux véhicules mais aussi parfois de nouveaux modes de jeu et même des améliorations du moteur de jeu (amélioration de la physique par exemple). Le jeu offre aussi une encyclopédie dédiée aux chars de combat, ceux du jeu mais aussi leurs modèles authentiques. Si vous êtes un fana de tanks, WoT n'est pas juste un jeu mais un portail pour votre passion ou vous pouvez rencontrer d'autres afficionados. Clash of Clans sur iOS offre un autre exemple très similaire.

Quelles en sont les conséquences pour un game design ? Les mécanismes-clés doivent supporter un grand nombre de variations et ces dernières doivent avoir un impact gameplay, pas cosmétique. Ainsi, League of Legends est construit autours d'un seul mode de jeu et de deux maps seulement mais le jeu offre une extraordinaire diversité dans ses héros. De nouveaux héros sont régulièrement rajoutés et tous apportent une combinaison unique de forces et de faiblesses.

Pour le jeu de tir en freemium sur lequel j'ai travaillé, nous nous étions concentrés non pas sur les armes principales du joueur mais sur son équipement annexe. La raison était la suivante: Dans un shooter contemporain, vous ne pouvez pas introduire beaucoup de différenciation dans les armes au sein d'une catégorie donnée; un pistolet demeure un pistolet même si vous modifiez ses caractéristiques de base. Nous étions limités par un minimum de réalisme. Mais il existe beaucoup de "gadgets" qu'un joueur peut utiliser pour changer ses tactiques de combat. Cela nous a permis de prévoir des arbres de progression riches et différents de ce qu'on voit dans d'autres shooters.

A suivre...

Sommaire

Il était une fois...

Commençons par le commencement : le concept

Le moteur des jeux freemium : la frustration

Les achats doivent-ils avoir un impact sur le gameplay ?

L'arbre de progression ou l'histoire sans fin ...

Du multijoueur, sinon rien ?

Les différences avec les jeux sociaux

Quelques mots pour la fin ...


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Publié le 3 juin 2013 par Emmanuel Forsans
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