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La compétitivité du jeu vidéo français à l'international

Extrait du rapport "L'apport de la culture à l'économie en France" (1)


1. Situation et perspective du marché français et mondial de jeux vidéo

Le marché du jeu vidéo en France, c'est-à-dire la consommation de jeux vidéo par des acheteurs en France, se décompose en plusieurs composantes :

  • les jeux vidéo stricto sensu, qui sont des logiciels vendus sous forme physique ou dématérialisée, utilisables sur différentes plateformes (consoles de salon ou portables, ordinateur, ordiphone, tablettes) ;
  • les plateformes de lecture des jeux vidéo, parmi lesquelles certaines sont prioritairement orientées vers les jeux vidéo (consoles) et d'autres sont polyvalentes (ordiphones, ordinateurs) ;
  • les accessoires et la presse spécialisée.

Selon le périmètre retenu, l'évaluation du marché du jeu vidéo est bien entendu largement différente. Le CNC estime à 1,1 Md€ la vente de jeux vidéo physiques en France en 2012. L'IDATE estime à 2,8 Md€ la vente de jeux vidéo (physiques et dématérialisés) et la vente de consoles de jeux vidéo. Il n'existe pas de sources disponibles permettant de mesurer l'intégralité du marché du jeu vidéo.

1.1. La vente de jeux vidéo en France : une baisse tendancielle du chiffre d'affaires et une part largement minoritaire des jeux français

Sur le marché français, le chiffre d'affaires des ventes de jeux vidéo sur supports physiques s'établit en retrait constant et prononcé depuis 2008. Ainsi, entre 2008 et 2012, le marché a perdu près d'un tiers de sa valeur, passant de 1,6 Md€ à 1,1 Md€. Cette décroissance s'explique par plusieurs phénomènes :

  • les consoles de salon sorties en 2005 et 2006, arrivent dans leur septième année d'exploitation et leurs ventes s'érodent continuellement. Les consommateurs attendent les prochaines générations de consoles qui devraient être mises sur le marché à la fin de l'année 2013 (Xbox One de Microsoft, PS4 de Sony) ;
  • l'évolution des habitudes de consommation des joueurs vers les plateformes dématérialisées, avec des achats en ligne, explique également l'érosion des ventes de jeux vidéo sur support physique. Les jeux pour consoles portables, qui enregistrent une baisse importante sur la période 2008 à 2012 (plus de la moitié), et plus fondamentalement leurs plateformes de lecture (les consoles portables) sont également concurrencés par les jeux vidéo sur mobile.

Graphique 1 : Chiffre d'affaires du marché français des jeux vidéo selon les types de jeu (en M€)

Chiffre d'affaires du marché français des jeux vidéo selon les types de jeu (en M€)

Source : CNC - GfK, le marché du jeu vidéo (2012).

Au sein de cet ensemble, les jeux vidéo français demeurent largement minoritaires en France, ce qui est le signe d'un marché mondialisé. En effet, la part de marché des jeux vidéo français, tant en nombre d'unités que de chiffre d'affaires, est très réduite : 6,1 % en 2012, contre 6,5 % en 2011. Ceci est le signe d'un marché fortement mondialisé, dans lequel les habitudes de consommation ne sont pas liées au contenu culturel national d'un produit, mais de succès internationaux.

La faiblesse du chiffre d'affaires en France des jeux français (68 M€ en 2012) est également le signe d'une forte exposition à l'international de l'industrie vidéoludique française.

Graphique 2 : Marché français du jeu vidéo selon la nationalité
(graphique de gauche : en millions d'unités vendues, graphique de droite : en M€)

Marché français du jeu vidéo selon la nationalité

Source : CNC - GfK, le marché du jeu vidéo (2012).

1.2. Des perspectives dynamiques du marché des jeux vidéo, en particulier pour les jeux en ligne et les jeux pour mobiles

Selon l'IDATE, le marché français du jeu vidéo (au sens des jeux et des plateformes de jeux) pourrait se révéler très dynamique dans les trois prochaines années. Les segments les plus dynamiques du marché français du jeu vidéo pour les années à venir seront le marché des consoles de salon (+148 % entre 2012 et 2016), le marché des jeux pour consoles portables (+67 %), le marché des jeux pour mobiles (+59 %) et le marché des jeux en ligne (+41 %).

Si les acteurs français du jeu vidéo ne peuvent que difficilement se positionner sur les segments des consoles, ils devraient profiter du regain d'activité générée par le succès des nouvelles générations de consoles, en proposant de nouveaux jeux exploitant les nouvelles potentialités techniques offertes par ces consoles. De même, ils devraient tirer parti des perspectives dynamiques des jeux en ligne et des jeux pour mobiles, qui sont des segments dans lesquels les coûts de production sont plus limités mais qui se caractérisent par une très forte concurrence.

Graphique 3 : Perspectives d'évolution du marché du jeu vidéo en France (en M€)

Perspectives d'évolution du marché du jeu vidéo en France (en M€)

Source : IDATE - décembre 2012.

Selon des estimations de l'IDATE, en France, le segment des jeux vidéo dématérialisés est estimé à 788,6 M€ en 2012. D'ici à 2016, il devrait représenter la moitié du marché des jeux vidéo.

Le jeu en ligne sur ordinateur est le segment de marché du jeu vidéo dématérialisé le plus dynamique en France en 2012. Son chiffre d'affaires s'élève à 417,5 M€ et devrait connaître une croissance annuelle moyenne de 9,0 % d'ici à 2016.

Graphique 4 : Perspectives d'évolutions du chiffre d'affaires de l'industrie vidéoludique par segment en France (en M€)

Perspectives d'évolutions du chiffre d'affaires de l'industrie vidéoludique par segment en France (en M€)

Le marché français du jeu sur téléphone mobile (ordiphones et téléphones traditionnels) est estimé à 231,4 M€ en 2012 et devrait s'élever à 368,6 M€ en 2016. Ces jeux se caractérisent par un prix attractif (généralement inférieur à 1 €) et proposent des palettes variés, le plus souvent disponibles uniquement sur support mobile.

Graphique 5 : Perspectives d'évolution du chiffre d'affaires des jeux dématérialisés en France par support (en M€)

Perspectives d'évolution du chiffre d'affaires des jeux dématérialisés en France par support (en M€)

Source : IDATE.

Sur console de salon, la vente dématérialisée de jeux vidéo s'élève en France à 119,0 M€ en 2012 selon l'IDATE, soit 12,4 % des revenus issus de la vente de jeux pour console de salon. En 2016, ce taux pourrait atteindre 31,7 %. Toujours selon l'IDATE, ce segment devrait devenir le deuxième du marché des jeux vidéo dématérialisés d'ici 2016, dépassant les jeux mobiles.

De manière plus globale, et puisque le marché des jeux vidéo est un marché mondial, les entreprises françaises de jeux vidéo devraient se positionner sur les segments à forte croissance, c'est-à-dire les jeux en ligne (pour ordinateur ou pour consoles) et les jeux pour mobile. Le marché mondial du jeu vidéo devrait croître fortement au cours des trois prochaines années selon l'IDATE (augmentation de +25 % au total, avec 75 Md€ de chiffre d'affaire prévu pour 2015).

Graphique 6 : Perspectives d'évolution du marché mondial du jeu vidéo (Md€)

Perspectives d'évolution du marché mondial du jeu vidéo ( Md€)

Source : IDATE.

2. La performance des entreprises françaises de jeux vidéo à l'international

La profession présente l'industrie française du jeu vidéo comme largement exportatrice. Le chiffre de 80 % de la production destinée à l'exportation est régulièrement mis en avant(2).

2.1. La mesure des exportations des entreprises françaises de jeu vidéo n'est pas aisée, pour plusieurs raisons.

D'abord, la notion d'exportation de jeux vidéo recouvre des réalités différentes selon les segments de la chaîne de valeur.

Pour les studios de développement, il s'agit de la conduite d'un projet pour le compte d'un éditeur étranger, qui commande la réalisation d'un jeu vidéo à un studio français, les modalités de rémunération pouvant être sous forme de prestations (avec cession des droits) ou sous forme de royalties.

Pour les éditeurs, les exportations sont les ventes réalisées à l'international, la capacité d'un éditeur à promouvoir ses jeux sur le marché international étant fortement corrélée à sa taille.

S'ajoute également la difficulté de mesurer le volume et la " nationalité " des ventes réalisées sur les plateformes numériques. Dans le domaine des jeux dématérialisés, qui tendent à prendre une place de plus en plus importante dans l'activité économique des studios et des éditeurs (jeux en ligne, jeux mobiles, jeux disponibles sur des plateformes comme l'AppStore ou Google Play), il est plus malaisé de retracer les ventes à l'étranger, dans la mesure où le chiffre d'affaires transite par la plateforme qui prélève un pourcentage (de l'ordre de 30 %).

Enfin, les données disponibles ne sont que difficilement exploitables. Les données de la douane ne permettent pas de retracer correctement les jeux vidéo au sein des échanges commerciaux, dans la mesure où seules les ventes de supports physiques sont retracées (nomenclatures douanières 95045000 - consoles et machines de jeux vidéo - et 9504100 - jeux vidéo des types utilisables avec un récepteur de télévision), ce qui correspond pour les exportations à 80 M€ en 2010, 71 M€ en 2011 et 84 M€ en 2012 et pour les importations à 633 M€ en 2010, 618 M€ en 2011 et 747 M€ en 2012. Il n'existe pas de données agrégées de la profession relatives à l'activité à l'international des entreprises françaises.

2.2. L'enquête réalisée avec l'AFJV et l'Insee révèle que les entreprises françaises réaliseraient un quart de leur chiffre d'affaires à l'export

La mission a choisi de s'appuyer sur les déclarations fiscales des entreprises du jeu vidéo, à travers l'exploitation des données Insee dans le cadre de l'enquête.

Selon cette enquête, 24 % du chiffre d'affaires des entreprises de jeux vidéo en France serait réalisé à l'international (hors activité des consoliers). En effet, l'analyse des données financières disponibles dans les enquêtes de l'Insee relatives aux 386 entreprises adhérentes à l'agence française du jeu vidéo (AFJV) permet de constater un taux d'exportation important, avec un chiffre d'affaires à l'exportation pour 2011 de 1 Md€ soit 24 % du chiffre d'affaires total.

Près de deux tiers du montant du chiffre d'affaires à l'export (0,7 M€) du secteur est réalisé par des éditeurs, qui enregistrent près d'un tiers de leur chiffre d'affaires à l'international. Les activités d'accompagnement techniques sont également tournées vers l'export, c'est tout particulièrement le cas des entreprises françaises de hardware et d'accessoires, qui réalisent en 2011 230 M€ de chiffre d'affaires dont 142 M€ à l'export (soit 60 %).

D'après l'enquête, les studios de développement ne destinent qu'un tiers de leur chiffre d'affaires à l'export (soit 54 M€ sur 175 M€ de chiffre d'affaires en 2011), ce qui indique que les studios produisant des jeux physiques travaillent majoritairement pour des éditeurs français. En réalité, les données disponibles à travers l'enquête Esane (issue des liasses fiscales) ne permettent pas de retracer les ventes internationales de jeux dématérialisés vendus sur des plateformes Internet (AppStore, Google Play). Il est donc probable qu'une plus grande partie de la production de jeux vidéo par les studios est destinée à une clientèle internationale.

Graphique 7 : Part du chiffre d'affaires réalisé à l'export pour les entreprises du jeu vidéo en France, par catégorie d'acteurs (2011, en M€)

Part du chiffre d'affaires réalisé à l'export pour les entreprises du jeu vidéo en France  par catégorie d'acteurs (2011  en M€)

Source : Esane 2011 - Calculs réalisés par l'Insee sur la base d'une demande IGF.

3. Enjeux et perspectives

3.1. Les opportunités des entreprises françaises de jeux vidéo : dématérialisation et diversification des publics

3.1.1. La dématérialisation

La dématérialisation des supports, des jeux et des contenus est une tendance de fond de l'industrie du jeu vidéo qui modifie les usages, le financement et les relations entre les acteurs.

3.1.1.1. Modification des usages

L'essor des nouveaux supports de jeux connectés (tablettes tactiles, ordiphones, téléviseurs et consoles connectés) permettant l'accès à des contenus dématérialisés génère de nouvelles habitudes de jeux et accélèrent la dématérialisation.

Ainsi, le jeu représente désormais près de 50 % du temps passé par les utilisateurs de téléphones mobiles et environ 20 % du temps passé sur les tablettes(3). 25 % des applications sur Android et 30 % sur Apple (iOS) sont des jeux. Les applications et contenus ludiques dématérialisés, accessibles en réseaux ou téléchargements sur consoles, ordinateurs, téléphones mobiles ou tablettes représentent désormais une part plus importante que les jeux pour consoles de salon.

Les consoliers se sont adaptés à la dématérialisation des contenus, dans la lignée des plateformes de téléchargement d'application pour ordiphones, et des pure players développent également des plateformes. Ainsi, les nouvelles générations de consoles prévoient systématiquement un espace d'achat dématérialisé (PSN(4), XBLA, WiiWare/DSiWare), qui attire de plus en plus de développeurs, et par conséquent, de plus en plus de joueurs. Ainsi, Apple est devenu le plus grand fournisseur de jeux vidéo dématérialisés au monde avec son AppStore. Enfin, des plateformes de distribution digitale de jeux sur PC ont été développées par des pure players (par exemple Steam, qui revendique 50 millions d'utilisateurs et représenterait plus de 90 % du marché du jeu en téléchargement sur PC(3)).

Une étape supplémentaire de dématérialisation de l'expérience vidéoludique est permise par le jeu à la demande qui dispense le joueur de télécharger son jeu (cloud gaming). À travers un support connecté en permanence à Internet (ordiphone, tablette, ordinateur, téléviseur connecté), l'utilisateur a accès à un catalogue de contenus vidéoludiques, gratuitement ou via la souscription à un abonnement. Le jeu à la demande est stocké sur un serveur distant et traité en temps réel avant d'être diffusé directement sur le navigateur du joueur (streaming). Il n'y a plus d'installation de logiciels, le jeu se joue " à distance " sur les serveurs du fournisseur des contenus. Après avoir concerné dans un premier temps des jeux d'entrée de gamme dont la durée de jeu et l'interactivité sont simplifiés (casual games) qui requièrent peu de traitement, de bande passante et de réactivité du réseau, le jeu à la demande pourrait concerner des jeux plus exigeants. OnLive et Gaikai (créé en 2009 et racheté par Sony en 2012) sont des exemples de plateforme de cloud gaming.

Alors que la dématérialisation des contenus ne mettait pas en péril l'existence des consoles, le développement du jeu à la demande est susceptible de remettre en cause l'économie des consoliers.

Les jeux en ligne, qu'ils soient totalement gratuits, avec options payantes achetées ou non achetées, connaissent ainsi une progression de leur taux de pénétration chez les joueurs, même si c'est également le cas en 2011 des jeux achetés dans le commerce et non connectés à Internet.

Tableau 1 : Pénétration des jeux vidéo selon le mode d'accès et le type de jeu (% des joueurs)

2009 2010 2011
Jeux en ligne totalement gratuits 
49,9 50,4 46,9
Jeux en ligne gratuits avec options payantes non achetées 
35,9 38 45,2
Jeux en ligne gratuits par options payantes achetées 
10,4 9,4 17,9
Jeux en ligne avec accès payant 
12 10,1 20,7
Jeux achetés dans le commerce et connectés à Internet 
16 16 14,9
Jeux achetés dans le commerce et non connectés à Internet 
39,4 35,2 43,6

Source : CNC - GfK, plusieurs réponses possibles.

3.1.1.2. Modification du modèle économique

La dématérialisation implique une modification du modèle économique des jeux vidéo, en redéfinissant la relation avec les utilisateurs et entre les acteurs.

La dématérialisation et la très forte diversification de jeux casual en ligne remettent en cause l'acte d'achat d'un jeu vidéo (pay-per-play). Les utilisateurs de jeux en ligne sont de moins en moins prêts à payer pour accéder aux jeux. Ainsi, 21 % des Français se déclarent prêts à payer et lorsqu'ils paient, ils ne sont que 37 % à dépenser plus que 10 € par an(5).

La dématérialisation de l'expérience de jeu vidéo s'accompagne du développement de nouveaux modèles économiques, fondés par exemple sur le paiement à l'acte. Le succès du modèle économique du jeu gratuit avec options payantes (freemium ou free2play), en particulier sur ordinateur via des jeux multijoueurs en ligne (MMO) ou des jeux sur réseaux sociaux, sur ordiphone et sur tablette, intègre peu à peu les consoles de salon, les consoles portables et les téléviseurs connectés. Les jeux free2play sont en effet des jeux en ligne dont une partie ou l'intégralité est jouable gratuitement. Ces jeux sont généralement financés par la vente d'objets en jeu, de services facultatifs ou de publicités (paiement à l'acte). Une des questions structurantes sera de savoir si ce modèle peut également se révéler dominant pour les terminaux dédiés (consoles de salon et portables).

L'émergence du modèle économique basé sur le paiement à l'acte modifie la manière de produire et de commercialiser les jeux vidéo, en basculant d'une vente de " bien " à une vente de " services ". Il ne s'agit plus de vendre un jeu fini, mais d'engager les joueurs dans une relation établie dans la durée, fondée sur une expérience interactive, la plupart du temps gratuite, qu'il est possible d'améliorer grâce à des paiements ponctuels mais réguliers. Dès lors, l'enjeu est de développer auprès des utilisateurs une forme de récurrence dans les revenus en proposant des contenus qui prolongent l'espérance de vie du jeu.

Dès lors, ce modèle se caractérise toutefois par une certaine fragilité, dans la mesure où il dépend de l'engagement payant des joueurs, sur des montants faibles. Le prix de vente très faible des jeux ne permet donc pas de créer une rentabilité sur une seule production, les sociétés devant s'engager dans un processus de production de catalogue. C'est notamment cette difficulté qu'ont rencontré les grands acteurs du jeu sur les réseaux sociaux. Zynga qui constitue l'un des plus grands opérateurs de jeux gratuits sur les réseaux sociaux rencontre ainsi des difficultés à convaincre les investisseurs de sa capacité à monétiser son public de joueurs : le cours de son action est passé de 14 $ quelques semaines après son introduction en bourse fin 2011 à 4 $ en 2013. Un cinquième des salariés a été licencié en avril 2013. De fait, si la popularité des jeux vidéo sociaux ne se dément pas(6), la croissance du marché a nettement ralenti en 2012. En effet, l'offre de jeux très importante et peu diversifiée des jeux casual sur les plateformes mobiles et les réseaux sociaux implique une très forte concurrence et donc la difficulté de créer de la rentabilité.

Enfin, la dématérialisation conduit à des changements dans la relation entre les acteurs de la filière : suppression des intermédiaires (éditeurs et distributeurs physiques), rapport direct avec les joueurs, possibilités accrues d'autofinancement. Dans ce nouveau modèle, le studio est en relation directe avec le joueur : la distribution s'effectue en direct par le web ou via une plateforme (Facebook, AppStore, etc.). En juin 2013, Amazon a ouvert sa propre plateforme entièrement dédiée aux jeux vidéo indépendants téléchargeables, Indie Games Store. L'initiative a été présentée comme conçue pour aider les développeurs à promouvoir leurs jeux en aidant les joueurs à les découvrir.

Ce nouveau modèle permis par la dématérialisation est susceptible d'aider les studios à gagner en indépendance en leur offrant la possibilité de devenir éditeurs et financeurs de leurs propres créations de jeux vidéo. Alors que dans le modèle traditionnel l'éditeur finançant la création captait l'ensemble des droits de propriété, les studios indépendants peuvent accéder au marché dans le modèle de la distribution digitalisée tout en conservant la valeur patrimoniale de leurs productions. Toutefois, ils doivent ainsi développer des savoir-faire nouveaux dans le domaine du marketing, qui deviennent des compétences critiques pour les modèles ou la rémunération par la publicité dans les jeux. Ils doivent également trouver des modalités de financements nouvelles, comme par exemple les plateformes de financements participatifs destinées à financer des projets en faisant appel à des contributions d'internautes.

Cependant, la dématérialisation met également en péril l'aval de la filière, notamment les distributeurs de jeux vidéo. Ainsi, le distributeur de jeux vidéo GAME, qui employait 750 salariés et 200 boutiques, a déposé le bilan au début de l'année 2013 après avoir été placé en redressement judiciaire en septembre 2012. Une partie des lieux de vente ont été repris par Micromania, qui est le premier distributeur de jeux vidéo en France.

3.1.2. La diversification des publics et la gamification

Une transformation des utilisateurs de jeux vidéo s'amorce avec la démocratisation des supports et des contenus. D'un marché de passionnés, le marché évolue vers un marché plus grand public et atomisé. Selon les chiffres du SNJV, 83 % des joueurs auraient plus de 18 ans, avec un âge moyen de 35 ans. 55 % des Français pratiqueraient les jeux vidéo, avec une progression notable pour les 35-49 ans et un doublement pour les plus de 50 ans12. Selon les chiffres du syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs (SELL), la France compterait 31 millions de joueurs réguliers, plaçant ainsi notre pays en tête des pays européens. 90 % des enfants entre six et dix ans joueraient à des jeux vidéo et 65 % des parents jouaient avec leurs enfants(8).

La diffusion de la culture des jeux vidéo est liée au succès des consoles de salon et au développement des jeux en ligne et sur mobile. Ces deux dynamiques sont elles-mêmes travaillées par des tensions (concurrence forte entre fabricants de matériel pour les consoles, entre éditeurs pour les jeux) et par des ruptures technologiques (avènement des réseaux sociaux), qui contribuent à bouleverser le marché tout en l'élargissant.

La diversification du public s'accompagne d'une diversification des contenus, avec l'essor de la gamification. La gamification peut être définie comme l'utilisation des techniques (récompenses, défis, progression) et des technologies du jeu vidéo dans des activités traditionnelles. Ainsi, le public professionnel à la recherche de nouvelles méthodes permettant de véhiculer des messages est à l'origine du développement du marché des serious games, c'est-à-dire des jeux vidéo à vocation sérieuse, proposés aux entreprises et institutionnels pour leur permettre de délivrer un message de sensibilisation, de dispositifs sur la formation continue. On trouve également des déclinaisons des serious games dans des secteurs comme l'armée ou la santé. Dans ce cas, l'objectif est d'informer et d'impacter les utilisateurs avec un message fort à travers un média puissant et fédérateur tel que le jeu vidéo. Le SNJV estime que le marché de la gamification représente environ 50 M€, en croissance de 15 % par an, sur un marché que se partage un peu moins d'une centaine d'entreprises.

Certains acteurs français du jeu vidéo ont tiré profit de ce double mouvement de dématérialisation et de diversification des publics. Dans le domaine des studios de développement, on peut ainsi citer Prettysimple, un studio parisien qui créé et produit de manière indépendante le jeu " Criminal Case " qui est un succès sur Facebook. Dans le domaine des concepteurs de logiciels (middleware), on peut citer Nexway ou Metaboli qui développent des plateformes de téléchargement de jeux vidéo.

3.2. Les défis des entreprises françaises de jeux vidéo

3.2.1. L'intensité de la concurrence internationale

La profession, relayée notamment par les sénateurs dans leur rapport de 2013 sur l'avenir de l'industrie du jeu vidéo de 2013, fait état d'une concurrence fiscale accrue déterminante sur l'implantation des entreprises du jeu vidéo.

Le cas du Canada, qui a développé une politique fiscale attrayante, est fréquemment cité : crédit d'impôt remboursable relatif à la production de titres multimédias établi entre 30 % et 37,5 % des dépenses (contre 20 % pour le CIJV français), prime à l'embauche, exemptions de charges patronales, mesures de soutien personnelles (sous forme d'exonération d'impôts, d'aides immobilières) constitueraient autant d'incitations à délocaliser une partie de l'activité de production de jeux vidéo au Canada. De fait, certaines entreprises françaises se sont développées à l'étranger, comme Ubisoft qui compterait désormais 1 200 salariés en France et près de 3 000 en Amérique du Nord.

Au-delà de l'attractivité fiscale, la question de la flexibilité du marché du travail constitue également un point d'attention des entreprises françaises. La production de jeux vidéo par un studio étant un projet fortement dépendant de l'existence de commandes et de financements provenant de maisons d'édition, certaines entreprises de la profession font état de difficultés à piloter, à la hausse comme à la baisse, le volume d'effectifs nécessaires à la réalisation de projets, par nature marqués par une forte cyclicité. Elles font ainsi valoir une plus grande facilité dans la possibilité de recruter des collaborateurs pour la durée d'un projet dans d'autres pays.

3.2.2. La gestion des droits

La question de la gestion des droits liés à la création du jeu est un enjeu majeur de l'industrie du jeu vidéo, qu'il s'agisse de l'équilibre de la relation entre les studios et les éditeurs ou de la compétitivité des studios français à l'international.

3.2.2.1. Partage des droits entre les studios et les éditeurs

Dans l'industrie du jeu vidéo, l'idée créative de départ peut revêtir plusieurs formes : elle constitue soit une propriété intellectuelle originale, proposée par le studio de développement ou par l'éditeur qui en commande le développement, soit être une licence acquise par le studio ou l'éditeur.

Dans les deux cas, la notion de droits d'auteur au sens du code de la propriété intellectuelle intervient et constitue un enjeu majeur. En effet, en raison d'un rapport de force économique plutôt en leur défaveur, les studios ont tendance à ne travailler qu'en prestation pour les éditeurs, quitte à abandonner les droits de certaines propriétés industrielles (PI) dont ils sont les initiateurs.

En pratique, les sociétés peinent à conserver leurs droits de création avec les éditeurs. Pourtant, ces contenus éditoriaux innovants constituent le coeur de la rentabilité de nombreuses sociétés par les possibilités de droits de suite, d'adaptation cinématographique ou de produits dérivés qu'ils engendrent.

3.2.2.2. Protection des droits d'auteur dans un contexte international

L'industrie du jeu vidéo étant fortement internationalisée, la protection des oeuvres implique de faire cohabiter des spécificités du droit français et des autres droits locaux. En France, le code de la propriété intellectuelle est théoriquement très protecteur envers les auteurs, mais ne correspond pas aux réalités actuelles rencontrées par l'industrie du jeu vidéo. La jurisprudence ne définit pas l'oeuvre jeu vidéo et les décisions successives ont qualifié tour à tour le jeu vidéo de logiciel, d'oeuvre audiovisuelle, d'oeuvre collective et d'oeuvre de collaboration(9). La résultante est une complexification des contrats commerciaux et de travail et une incertitude qui augmente le risque sur une oeuvre.

L'impossibilité pour les développeurs français de garantir aux éditeurs étrangers la cession des droits, dès lors que ces derniers sont des sociétés de droit anglo-saxon pour lesquelles les droits attachés au régime du copyright constituent un cadre juridique satisfaisant pour le marché mondial, est susceptible de faire échouer des contrats. Dans la pratique, les éditeurs se protègent de différentes façons, certains contractant directement avec l'ensemble des intervenants salariés et sous-traitants du développeur.

3.2.3. La gestion des ressources humaines

Composés initialement essentiellement de passionnés, le secteur entend oeuvrer en faveur d'une structuration du statut du travailleur de l'industrie du jeu vidéo. Le SNJV élabore en lien avec ses adhérents un référentiel recensant les métiers du jeu vidéo comprenant une cartographie des professions ainsi que les niveaux de salaires afférents.

La professionnalisation de la gestion des ressources humaines est également un enjeu, à travers une réflexion sur le parcours et l'évolution des compétences et un renforcement de la formation continue, relativement absente des pratiques actuelles des entreprises du jeu vidéo.

Les grappes et les pôles regroupant les entreprises du secteur permettent de proposer des catalogues de formation communs. La grappe Capital Games a ainsi développé le programme " EnjeuxRH " qui a pour but d'accompagner les entreprises autour des défis relatifs au renforcement de la fonction ressources humaines : aide sur le recrutement, explication du droit individuel à la formation (DIF), mise en place de plans d'intéressement et de participation, mutualisation d'un budget de formation et mise en place d'un plan de formation, mise en relation avec des experts…

Notes et références

1. Rapport de l'Inspection Générale des Affaires Culturelles (IGAC) et l'Inspection Générale des Finances (IGF) : www.afjv.com/news/3278_l-apport-de-la-culture-a-l-economie-en-france.htm

2. SNJV, chiffres clés du jeu vidéo : www.afjv.com/news/3192_les-elements-cles-du-jeu-video-en-france-en-2013-snjv.htm

3. Syndicat national du jeu vidéo : le jeu vidéo en France en 2012, éléments clés : www.afjv.com/news/1967_elements-cles-jeu-video-france-2012.htm

4. Sony peut être considéré comme un pionnier de la dématérialisation, avec sa toute nouvelle PSP Go, dont tous les jeux s'achètent via le Playstation Network (PSN).

5. Étude Lightspeed Research citée par le Syndicat national du jeu vidéo www.afjv.com/rp/revue_presse?rp=426

6. Une étude de la société Pop Cap citée par le SNJV montre ainsi que 30 % des joueurs qui jouent à présent aux jeux sociaux ne jouaient pas avant 2010 sur ces plateformes : www.afjv.com/news/384_etude-jeux-sociaux.htm

7. SNJV, chiffres clés, citant une étude Enterbrain 2012 www.afjv.com/rp/revue_presse?rp=425

8. SELL, Communiqué de presse du 28 octobre 2013, disponible sous : www.afjv.com/news/3071_la-paris-games-week-beneficie-d-un-contexte-marche-favorable.htm

9. Voir notamment la publication du DEPS : La création dans l'industrie du jeu vidéo (2009-1), par François Rouet, Culture Études : www.afjv.com/press0902/090216_etude_creation_jeux_video.htm

Publié le 15 janvier 2014 par Emmanuel Forsans
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