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Le Transmédia : quels nouveaux défis pour la propriété intellectuelle ?

Par Romain Gandia, Enseignant Chercheur en Stratégie et Management de l'innovation à l'ESC Chambéry Savoie


Depuis quelques années, la convergence technologique autorisée par la numérisation des supports et des contenus incite les acteurs des industries du multimédias (Jeu vidéo, Cinéma d'animation, Internet et Editions) à collaborer afin d'innover et offrir de nouveaux produits et services. Parmi ceux-ci, le Transmédia rencontre aujourd'hui un succès grandissant. On l'observe notamment avec Wakfu, le Transmédia de l'entreprise française Ankama, qui reste le plus connu.

Le Transmédia se définit comme la création d'un univers artistique et narratif dont les chapitres sont exploités sur différents médias interconnectés. Cette innovation est semblable à un gigantesque puzzle médiatique dans lequel l'utilisateur peut adopter deux niveaux de lecture : (1) une lecture des médias indépendamment les uns des autres qui pousse à une expérience de consommation étanche et (2) une lecture combinée et complémentaire des médias qui participe à une expérience de consommation globale. Ainsi, il est possible de naviguer facilement d'un média à l'autre, quel que soit son point d'entrée (jeu vidéo, TV, cinéma, BD, mangas, mobile, Internet). Le Transmédia se distingue des adaptations traditionnelles (exemple : un film adapté en jeu vidéo) par son principe d'écriture, pensé au départ comme Transmédia. La narration doit donc intégrer dès le début les spécificités et les contraintes artistiques et techniques associées à chaque média. C'est ce qui rend les projets Transmédia très complexes, et amène notamment des problématiques nouvelles en termes de gestion de la propriété intellectuelle (PI).

Un projet Transmédia rassemble logiquement plusieurs acteurs (créatifs, financiers, diffuseurs), venant d'industries différentes, qui doivent collaborer afin d'écrire, concevoir et réaliser une œuvre à destination de plusieurs supports médiatiques. Dans ces conditions, plusieurs questions se posent : comment gérer les problématiques de propriété intellectuelle ? Quel statut de PI et quels dispositifs de protection choisir, compte tenu des spécificités juridiques des médias ? Comment répartir équitablement les recettes ? Ces préoccupations sont actuellement au cœur des industries culturelles. Certains avocats experts en la matière (notamment Maître Jérôme Dechesne) parlent réellement d'un " vide juridique " car il n'existe pas, à l'heure actuelle, de statut de PI spécifique au Transmédia. Toutefois, certaines solutions sont envisageables pour protéger cette innovation.

Le principe de protection le plus simple et le plus efficace consisterait à protéger la création de l'univers artistique d'un côté, puis de protéger ensuite chaque média par son régime juridique de référence (exemple : le cinéma d'animation par l'œuvre audiovisuelle et le droit d'auteur, le jeu vidéo par l'œuvre collective ou l'œuvre de collaboration et le copyright, etc.). Ainsi, il conviendrait de choisir et d'adapter les dispositifs de protection en fonction des différentes étapes du processus d'innovation d'une offre Transmédia. Dans une vision simpliste, ce processus recouvre globalement 6 étapes : la conception, la pré-production, la production, la post-production, le marketing (commercialisation) et la diffusion (cf. Figure 1).

Protection juridique en fonction du processus d'innovation d'une offre Transmédia

Figure 1 : la protection juridique en fonction du processus d'innovation d'une offre Transmédia (vision simplifiée)

Bien entendu, il est difficile d'estimer aujourd'hui la performance de ce principe de protection " décomposé ". La principale difficulté reste la protection de l'univers artistique et donc de la narration de base. Comme le souligne Morgan Bouchet (Vice-Président du Transmédia Lab / Social Change d'Orange), il est très difficile d'identifier qui est " auteur " dans un projet Transmédia. En effet, toute personne apportant une contribution significative à la création de l'univers ou la structure de l'offre peut être considérée comme un auteur. Par exemple, un " story architecte ", qui créé l'arborescence et les pages du projet peut devenir un auteur, élargissant ainsi les frontières traditionnelles de ce métier. Au final, le Transmédia n'est donc pas sans difficulté et les problématiques de propriété intellectuelle ne sont pas encore complètement résolues. Même si des solutions semblent exister, il est crucial d'engager des démarches visant à tester véritablement ces solutions, voire d'en créer de nouvelles avec l'aide d'acteurs juridiques experts en la matière. Il est enfin important de retenir que le droit d'auteur, qui protège naturellement une œuvre, ne fait pas tout et que les acteurs du Transmédia devront sans doute jongler et combiner différentes formes de protection relevant des régimes juridiques des différentes déclinaisons médiatiques. Il faudra donc s'armer de patience et s'entourer de spécialistes pour traiter ces problématiques juridiques au cas par cas.

Publié le 24 avril 2012 par Emmanuel Forsans
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