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Vers une prochaine modification du droit d'auteur ?

Henri LEBEN - Avocat associé IP/IT - Colbert Paris


Henri LEBEN - Avocat associé IP/IT - Colbert ParisLe 5 décembre dernier, la Commission européenne a annoncé son intention de procéder à une consultation des principaux acteurs de l'économie numérique, afin de moderniser le droit d'auteur.

Cette initiative résulte de la prise de conscience (un peu tardive…) que l'arrivée du numérique a considérablement modifié les modes de création et de diffusion de contenus.

Le numérique facilite la diffusion à très grande échelle des œuvres nouvellement créées (avec les conséquences que l'on connaît sur le piratage). Le numérique permet également d'associer les utilisateurs aux auteurs, en encourageant les contributions susceptibles d'améliorer l'œuvre initiale.

Ces nouveautés sont appréhendées différemment selon les législations des Etats membres de l'Union européenne.

D'où la volonté de la Commission de procéder à une réforme en profondeur des droits en vigueur, afin de permettre la création d'un véritable marché unique des contenus numériques.

Cette initiative de la Commission constitue une occasion privilégiée pour l'industrie du jeu vidéo de faire entendre sa voix, et prôner des réformes législatives adaptées à ses besoins.

L'état des lieux

Un constat : le droit d'auteur, tel qu'il est prévu par le Code de la propriété intellectuelle n'est pas adapté aux jeux vidéo. Bien qu'il y ait une quasi unanimité de la profession sur l'absence de réglementation adaptée, aucun consensus réel sur les réformes législatives à entreprendre n'a été trouvé à ce jour.

Comme toujours, l'absence de consensus s'explique par la présence d'intérêts antagonistes, opposant - de manière grossière - les développeurs aux éditeurs. Cette opposition est cependant aujourd'hui remise en cause par les nouveaux modèles économiques qui réduisent considérablement la frontière entre les différents acteurs (modèle freemium, plateformes de distribution mobiles, etc.).

Aujourd'hui, la Commission doit choisir principalement entre deux modèles : le modèle du droit d'auteur " français " et le modèle anglo-saxon du copyright et du Work made for hire.

Dans le modèle français, l'auteur - au sens artistique du terme - est placé au centre du processus législatif. L'auteur, personne physique, ne peut être dépossédé de sa création s'il ne l'a pas cédée expressément à l'éditeur, ou au studio qui l'emploie.

Inversement, dans le modèle du copyright, c'est la partie qui a commandé (et donc financé) la création qui est bénéficiaire de la protection accordée par le droit d'auteur.

Ramenés au marché du jeu vidéo, ces deux modèles présentent bien évidemment des avantages et des inconvénients.

Le modèle " droit d'auteur " permet une juste protection du créateur, dont l'esprit d'inventivité et la réputation contribuent très fortement au succès d'un jeu. Il pénalise par contre le financier, sans qui le jeu n'aurait jamais pu être commercialisé.

Il est vrai que le régime prévu par le Code de la propriété intellectuelle prévoit l'existence d'œuvres dites " collectives ", dont la propriété appartient à la société qui a prie l'initiative de leur création, les a éditées, publiées ou divulguées.

Mais les critères de qualification retenues par la jurisprudence sont tellement strictes, que rares sont les œuvres reconnues comme " collectives ". La jurisprudence s'est d'ailleurs toujours refusée, à ce jour, de qualifier d'œuvre collective un jeu vidéo.

Inversement, le modèle copyright nie la dimension artistique et fait du créateur un simple prestataire de service. Ce modèle permet néanmoins de faciliter la production et la diffusion de l'œuvre en simplifiant considérablement les règles de rémunération.

Ce modèle permet également de clarifier les droits respectifs des parties, en reconnaissant à l'initiateur de l'œuvre (l'éditeur par exemple), un droit de propriété ne nécessitant pas de cession expresse (régime du Work made for hire).

Vers un rapprochement des régimes ?

Le modèle du Work made for hire n'est pas totalement étranger au droit français, qui l'applique, sous une forme adaptée, à la création de logiciel. La propriété du logiciel créé appartient en effet d'office à l'employeur, sans nécessiter l'intervention d'une cession expresse.

Légalement, rien n'interdirait d'élargir le régime des logiciels aux jeux vidéo.

L'alinéa 1 de l'article L.113-9 du Code de la propriété intellectuelle pourrait ainsi être modifié :

" Sauf dispositions statutaires ou stipulations contraires, les droits patrimoniaux sur les logiciels et leur documentation, ainsi que sur les jeux vidéo créés par un ou plusieurs employés dans l'exercice de leurs fonctions ou d'après les instructions de leur employeur sont dévolus à l'employeur qui est seul habilité à les exercer ".

Un second alinéa pourrait également être ajouté, mentionnant :

" Sauf dispositions statutaires ou stipulations contraires, les droits patrimoniaux sur les jeux vidéo créés par une personne physique ou morale, à titre onéreux et à la demande expresse d'une autre personne physique ou morale, sont dévolus à cette dernière qui est seule habilitée à les exercer ".

Afin de corriger les excès de ce régime et conserver un équilibre entre les droits des créateurs et ceux des " financiers ", rien n'interdit de réserver d'office la qualité d'auteur à certaines fonctions, sur le modèle déjà existant en matière d'œuvre audiovisuelle.

Le Code de la propriété intellectuelle prévoit en effet que l'auteur du scénario, du texte parlé ou le réalisateur, sont présumés coauteurs de l'œuvre audiovisuelle à laquelle ils ont participé.

En matière de jeux vidéo, il ne paraît pas incohérent de prévoir le même type de présomption, au bénéficie du responsable du game play, du game design et du compositeur de musique par exemple.

Quels que soient les choix retenus, il est maintenant temps pour les représentants et acteurs de l'industrie du jeu vidéo, de faire valoir leur préférence et de profiter de l'appel de la Commission pour se faire entendre…

Henri LEBEN
Avocat associé IP/IT
Colbert Paris
h.lebencolbert-paris.com

Publié le 12 décembre 2012 par Emmanuel Forsans
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