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Téléchargement de jeux vidéo : une extension du marché des jeux d'occasion

Par Me Julie Prost Avocat au Barreau de Paris


  1. Le téléchargement, une extension du marché des jeux d'occasion Dans un jugement du 17 septembre 2019, le TGI de Paris a jugé qu'une plateforme de vente de jeux vidéo en ligne ne pouvait pas interdire à ses clients de revendre les jeux téléchargés sur la plateforme.
     
  2. A l'origine, en décembre 2015, l'association de consommateurs UFC Que choisir avait assigné la plateforme de jeux en ligne Steam, afin de faire reconnaître abusives un certain nombre de clauses de ses conditions générales. Parmi ces clauses figurait l'interdiction faite aux joueurs de revendre les jeux qu'ils avaient téléchargés, à d'autres joueurs.
     
  3. Pour examiner la légalité de cette interdiction, le tribunal a dû se prononcer sur la qualification juridique d'un achat de jeu vidéo sur une plateforme digitale. Selon lui, étant donné que le joueur paye le prix une fois pour toutes pour jouer de manière illimitée au jeu qu'il télécharge, l'opération consiste en une vente (la copie du jeu), à laquelle est couplée un contrat de licence.
     
  4. Dès lors, toujours selon le tribunal, la première vente d'une copie du jeu avec l'autorisation de l'auteur, lui fait perdre le contrôle sur les reventes suivantes. C'est ce que l'on appelle l'épuisement des droits, traditionnellement applicable aux logiciels et ici appliqué par extension aux jeux vidéo, composés par nature d'un noyau logiciel.
     
  5. Comme la CJUE dans ses décisions UsedSoft GmbH (C-128-11, 3 juillet 2012) et Microsoft (C 166/15, 12 octobre 2016), le tribunal trace un parallèle entre la vente digitale et la vente physique dans le cadre de laquelle le joueur achète un support matériel (une cartouche, un disque) contenant le jeu, sur lequel il acquiert un droit de propriété. De la même manière que le joueur peut revendre une cartouche physique de jeu sur le marché de l'occasion, il doit pouvoir revendre un fichier qu'il a téléchargé légalement. L'épuisement du droit de distribution s'applique, quelque soit le mode de distribution du jeu vidéo.
     
  6. Les juges du fond appliquent le raisonnement de la CJUE : "le téléchargement d'une copie d'un programme d'ordinateur et la conclusion d'un contrat de licence d'utilisation se rapportant à celle-ci forment un tout indivisible" (point 44 de l'arrêt Usedsoft). Une approche justifiée par le fait que la détention d'une copie est dépourvue d'intérêt si elle ne peut pas être utilisée par son détenteur.
     
  7. Dans le cas de Steam, il est important de rappeler que le joueur doit disposer d'un compte pour pouvoir jouer aux jeux qu'il achète. Ce compte est l'équivalent d'une console de jeu permettant de lire le support sur lequel le jeu est stocké. On notera cependant une différence conceptuelle intéressante car dans le cas de la console, le joueur en est généralement le propriétaire, alors que dans le cas de Steam, le joueur dispose d'un compte joueur qui est un contrat le liant à la plateforme : il s'agit donc d'un droit personnel. Afin que la revente du jeu soit possible, Steam ne doit donc pas pouvoir s'opposer à la cession et doit permettre en principe au cessionnaire de jouer, sans opérer de distinction entre les joueurs ayant acheté le jeu neuf et ceux l'ayant acheté d'occasion.
     
  8. Le fait que le second acquéreur doive posséder un compte Steam ne pose pas de difficultés, toute personne achetant un jeu d'occasion devant posséder la console correspondante pour pouvoir y joueur : le même principe s'applique ici. L'opération ne devrait pas pour autant être qualifiée de cession de contrat car chaque joueur dispose de son propre compte, le compte du cédant n'étant pas cédé avec le jeu. Mais l'objectif de la jurisprudence européenne étant de permettre des transferts effectifs, c'est-à-dire que le cessionnaire puisse jouer au jeu et ne soit pas simplement le propriétaire d'une copie inutilisable. On peut en déduire que le contrat de compte de jeu fait naitre à la charge de la plateforme (i) une obligation de ne pas s'opposer aux reventes de jeu entre joueur et (ii) une obligation visant à permettre au cessionnaire du jeu de pouvoir y jouer par l'intermédiaire de la plateforme.
     
  9. Une interprétation consumériste du jugement du 17 septembre conduirait à s'interroger sur l'opportunité pour Steam d'organiser un marché d'occasion pour ses jeux. En effet, à part pour des informaticiens aguerris, la revente d'un jeu téléchargé, puis sa connexion à l'application Steam, pourrait s'avérer particulièrement complexe si la plateforme n'organisait pas la mise en relation entre acheteurs et vendeurs et la prise en charge des aspects techniques nécessaire à la bonne réalisation de l'opération. Ceci justifierait par ailleurs que la plateforme prélève un pourcentage sur le prix de vente. Steam y trouverait alors un intérêt car ceci serait impossible avec un marché de gré à gré où elle serait un tiers absolu aux cessions de jeux. De plus, le contrôle d'un marché officiel lui permettrait de contrôler les prix de revente. Ceci est important car si les prix d'occasion sont très faibles, les joueurs seront fortement incités à acheter le jeu d'occasion plutôt que neuf, réduisant alors le chiffre d'affaires de Steam.
     
  10. Quoiqu'il en soit, Steam ayant interjeté appel de ce jugement, il faudra attendre que la cour d'appel de Paris, se prononce pour connaitre le fin mot de l'histoire !
     

Me Julie Prost
Avocat au Barreau de Paris
Impala Avocats

Publié le 9 octobre 2019 par Emmanuel Forsans
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Commentaires des lecteurs

Dreik
Dreik
30 octobre 2019
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MP
L'impossibilité de revendre ses jeux démate repose, selon moi, uniquement sur une volonté délibérée de spolier le consommateur dans ses droits pourtant légitimes (Usus, Fructus et abusus), alors que, comble de l'abus, la plupart du temps l'exemplaire en démate est vendu plus cher que son équivalent physique, qu'on peut revendre, afin de financer tout ou partie de l'achat suivant.

Pour résumer la démate c'est moins de droits pour le consommateur, et aucune compensation via une baisse de prix de vente.

Pourtant il n'y a nul besoin d'être informaticien, une solution simple et qui a fait ses preuves c'est la blockchain.

Une autre solution serait de revendre légalement son compte steam (ce que valve interdit actuellement, il me semble) et là nul besoin non plus d'être informaticien.

En ce qui concerne le prélèvement d'une dime, par valve ou n'importe qui d'autre, je trouverais cela totalement scandaleux.

Que ne dirait-on pas si le vendeur, d'une voiture, d'une maison, d'un livre ou que sais-je encore exigeait de toucher une commission, sur un bien qui vous appartient et que vous avez payé au prix fort au motif que vous n'avez d'autre choix que de passer par lui pour la revente.

L'industrie du jv qui, dans une large majorité n'a eu de cesse, avec la démate, de réinventer les règles du commerce à son seul et unique profit, revienne à la raison.

En cela, même si j'ai peu d'espoir sur le retour d'une relation commerciale plus respectueuse du client, l'ufc a au moins le mérite d'avoir mis un coup de pied dans la fourmilière.
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